Des chercheurs ont identifié une souche bactérienne intestinale amplifiant les effets des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires, un type de thérapies anti-cancéreuses. La souche stimule l’activité des cellules dendritiques, qui redirigent et concentrent à leur tour les cellules immunitaires T vers les tumeurs. Cela expliquerait les différences de réponses au traitement chez les patients et ouvre la voie à de nouvelles stratégies basées sur le microbiote intestinal.
Les traitements mobilisant le système immunitaire s’imposent depuis quelques années comme une stratégie thérapeutique prometteuse dans la lutte contre le cancer. En particulier, les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire — des anticorps monoclonaux conçus pour relancer la réponse des lymphocytes T — ont permis des rémissions durables chez certains patients atteints de cancers avancés.
Mais si leur efficacité est indéniable dans certaines indications, leur succès reste inégal d’un individu à l’autre. Une hétérogénéité que la communauté scientifique attribue en partie au microbiote intestinal, dont le rôle central dans la modulation des réponses immunitaires systémiques est de mieux en mieux documenté. Des études antérieures ont déjà démontré l’implication du microbiote dans l’activation immunitaire sous chimiothérapie. D’autres encore ont associé l’abondance de certaines espèces bactériennes à une efficacité accrue des traitements par ICI, notamment par la stimulation des macrophages, des monocytes, ou directement des lymphocytes T dans des modèles murins.
« Des recherches récentes ont impliqué le microbiome dans le métabolisme, l’absorption et même le mécanisme d’action des traitements anticancéreux, qu’il s’agisse de chimiothérapie ou d’immunothérapie », résume Peter Turnbaugh, professeur de microbiologie et d’immunologie, interrogé par Technology Networks. « Si nombre de résultats proviennent encore de modèles précliniques, des corrélations robustes commencent à émerger chez les patients humains », précise-t-il.
Des expérimentations chez la souris aux pistes cliniques
Jusqu’à présent, l’identité précise des bactéries impliquées restait floue. Une avancée significative vient d’être publiée dans la revue Nature par une équipe du Centre national du cancer à Tokyo, qui affirme avoir identifié l’une de ces souches. « Nous avons identifié une nouvelle souche bactérienne, nommée YB328, significativement enrichie dans les selles des patients ayant répondu positivement à un traitement par blocage de PD-1 », écrivent les auteurs.
La protéine PD-1, exprimée à la surface des lymphocytes T, joue un rôle clé dans la régulation négative de la réponse immunitaire : sa liaison aux ligands PD-L1 ou PD-L2 freine l’activité des cellules T, un mécanisme que les cellules tumorales exploitent pour échapper à la surveillance immunitaire.
Pour mieux comprendre l’impact du microbiote sur l’efficacité de ces traitements, les chercheurs japonais ont analysé les selles de 50 patients traités par ICI. Ils ont ensuite effectué des transplantations fécales sur des souris atteintes de tumeurs. Résultat : les rongeurs recevant les microbiotes de patients répondeurs ont également bénéficié du traitement sur leurs tumeurs. À l’inverse, celles transplantées avec les échantillons de patients non répondeurs ont présenté une résistance similaire au traitement.
En affinant leur analyse durant plus d’un an, les chercheurs sont parvenus à isoler une souche responsable de cet effet différentiel : Hominenteromicrobium mulieris, désignée YB328, appartenant à la famille des Ruminococcaceae. Cette bactérie a été associée à une activation marquée des cellules dendritiques classiques CD103+CD11b–, essentielles à l’initiation d’une réponse cytotoxique efficace. Ces cellules migrent ensuite vers les tumeurs via la circulation sanguine, où elles activent des lymphocytes T CD8+ capables de détruire les cellules cancéreuses.
Vers des stratégies thérapeutiques personnalisées et intégrées
« Les souris ont montré une efficacité anti-tumorale améliorée du blocage de PD-1 lorsqu’elles ont été traitées avec des transplantations fécales de patients non répondeurs supplémentés en YB328 », précisent les auteurs de l’étude. « Ce résultat suggère que YB328 pourrait jouer un rôle dominant dans cette modulation immunitaire », ajoutent-ils.
Cette découverte consolide l’hypothèse d’un lien direct entre composition du microbiote et efficacité de l’immunothérapie anticancéreuse. Elle pourrait favoriser le développement de nouvelles stratégies adjuvantes basées sur des interventions ciblées : supplémentation en probiotiques spécifiques, régimes alimentaires adaptés, voire transplantation fécale. Les chercheurs prévoient désormais d’initier des essais cliniques afin de déterminer si les bénéfices observés chez l’animal sont reproductibles chez l’humain.