La lenteur apparente des jets de plasma émanant du blazar PKS 1424+240, également surnommé « l’Œil de Sauron », serait due à un champ magnétique toroïdal qui les canalise et les oriente directement vers notre planète – une énigme que les astronomes tentaient de résoudre depuis plusieurs décennies. Cette configuration engendrerait une illusion d’optique donnant l’impression que le jet progresse lentement, tout en expliquant l’extraordinaire luminosité de l’objet céleste.
Un blazar est un type de noyau galactique abritant en son centre un trou noir supermassif très actif, projetant de gigantesques jets de plasma à une vitesse proche de celle de la lumière. Si la plupart des trous noirs actifs projettent des jets de plasma bidirectionnels, les blazars se distinguent par leur orientation particulière : l’un des jets est dirigé presque exactement vers la Terre, à dix degrés près.
Cette orientation leur confère une luminosité remarquable sur l’ensemble du spectre électromagnétique et offre l’opportunité aux astronomes d’examiner des processus physiques extrêmes, tels que l’accélération de particules à des énergies bien supérieures à celles atteintes dans les accélérateurs terrestres. L’étude de ces phénomènes pourrait éclairer la manière dont l’Univers engendre photons et neutrinos aux énergies les plus élevées observables, un champ d’investigation que seule l’astrophysique permet d’explorer.
Situé à plusieurs milliards d’années-lumière, l’Œil de Sauron – ainsi surnommé en raison de sa ressemblance avec l’œil imaginaire de la saga « Le Seigneur des anneaux » – semblait toutefois déroger à cette règle. Bien connu des astronomes depuis longtemps comme source de rayonnement gamma, il a vu son rôle d’émetteur de neutrinos renforcé par les observations de l’observatoire IceCube, au pôle Sud. Le réseau Cherenkov Telescope Array et les télescopes gamma installés à La Palma, en Espagne, ont également détecté des émissions d’une énergie exceptionnelle.
Mais paradoxalement, son jet radio apparaissait bien plus lent que prévu, en contradiction avec l’idée selon laquelle seuls les jets les plus rapides pouvaient produire de telles émissions intenses et énergétiques. Après plus de dix années de recherches, une équipe internationale semble avoir élucidé l’origine de cette lenteur apparente. Leurs conclusions ont été publiées le 12 août dans la revue Astronomy & Astrophysics Letters.
« … une illusion d’optique classique. »
Les chercheurs ont analysé quinze années d’observations du Very Long Baseline Array (VLBA), dans le cadre du programme Monitoring Of Jets in Active galactic nuclei with VLBA Experiments (MOJAVE), consacré à l’étude des jets relativistes issus des galaxies actives. Le VLBA constitue un immense réseau de dix antennes réparties entre le continent nord-américain, Hawaï et l’île de Sainte-Croix.
Grâce à l’interférométrie à très longue base, qui exploite un espacement maximal de près de 10 000 kilomètres entre antennes, les astronomes ont pu obtenir une résolution angulaire atteignant 50 microsecondes d’arc, permettant de reconstituer une image du blazar d’une précision inédite.
« Lorsque nous avons reconstruit l’image, elle était absolument saisissante », explique dans un communiqué de l’European Research Council Yuri Kovalev, auteur principal de l’étude et responsable du projet MuSES à l’Institut Max Planck de radioastronomie (MPIfR). « Nous n’avions jamais rien observé de tel : un champ magnétique toroïdal presque parfait, avec un jet pointé directement vers nous. »
Selon les chercheurs, cette orientation particulière amplifie considérablement l’émission à haute énergie par des effets relativistes prédits par Einstein, qui modifient la perception du temps, de l’espace et du mouvement. Ici, l’illusion de lenteur ne résulte pas d’une dilatation temporelle, mais bien d’un effet de projection : le jet, bien qu’ultrarapide, paraît se déplacer lentement lorsqu’il est aligné presque dans notre axe de vision.
« Cet alignement accroît la luminosité d’un facteur supérieur à 30 », précise Jack Livingston, coauteur de l’étude au MPIfR. « En même temps, le jet semble progresser avec lenteur à cause de la projection – une illusion d’optique classique. »
Cette configuration a également permis aux chercheurs d’observer directement le cœur de la source, une opportunité rarissime. Leurs analyses révèlent que la forme toroïdale du champ magnétique du jet joue un rôle important dans la canalisation du plasma et pourrait contribuer à l’accélération des particules à très haute énergie.
Ces résultats corroborent ceux de précédentes études mettant en évidence le lien entre jets relativistes, production de neutrinos et rôle des champs magnétiques dans l’accélération de particules cosmiques. « Nous démontrons que le faisceau relativiste joue un rôle crucial dans l’émission de rayons gamma et de neutrinos des blazars », concluent les chercheurs.