La face tendre des chauves-souris carnivores : elles forment des boules de câlins pour dormir

« Nous avons été étonnés de constater à quel point ces prédateurs sont doux et coopératifs. »

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| Marisa Tietge
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En installant des pièges-caméras dans une forêt du Costa Rica, des biologistes ont découvert que les chauves-souris faux-vampires de Linné se font des câlins en famille et partagent leur nourriture. Ce type de comportement, documenté pour la première fois chez ces mammifères, suggère que cette espèce rare (et souvent stigmatisée) de chauves-souris présente une structure sociale plus complexe qu’on le pensait.

Les comportements collectifs sont observés chez de nombreuses espèces animales, des insectes aux mammifères, en passant par les oiseaux et certains reptiles. Ils impliquent généralement des individus travaillant ensemble pour atteindre des objectifs communs, tels que la défense ou la prise en charge des jeunes. Ces dynamiques sont particulièrement bien documentées chez les animaux sociaux, où la coopération peut s’exercer entre parents proches ou entre individus non apparentés.

Comptant plus de 1 480 espèces, les chauves-souris présentent une grande variété de comportements collectifs et vivent souvent au sein de colonies pouvant compter des milliers d’individus. Elles figurent parmi les mammifères les plus diversifiés et les plus essentiels d’un point de vue écosystémique, occupant une large gamme d’habitats et de régimes alimentaires. Leurs structures sociales vont du repos solitaire aux harems, en passant par la monogamie.

Cependant, leur mode de vie nocturne complique l’étude de ces comportements en milieu naturel. En particulier, la chauve-souris javelot ou faux-vampire de Linné (Vampyrum spectrum) a longtemps été considérée comme un prédateur solitaire. Une étude menée par le Musée d’histoire naturelle de Berlin révèle toutefois qu’elle développe des comportements sociaux bien plus élaborés qu’on ne le pensait.

« Nous avons été étonnés de constater à quel point ces prédateurs sont doux et coopératifs », explique, dans un communiqué, Marisa Tietge, auteure principale de l’étude. Les chauves-souris sont souvent stigmatisées, associées au mal ou aux maladies, et ont inspiré de nombreux mythes ainsi que des œuvres de science-fiction. « Les gens peuvent vraiment voir qu’il ne s’agit pas de créatures dangereuses qui vous arrachent la tête ou boivent votre sang », précise-t-elle au CBC News.

Une réputation trompeuse

Pesant jusqu’à 180 grammes et dotées d’une envergure de 90 centimètres, les chauves-souris javelot sont les plus grandes chauves-souris carnivores au monde. Elles se rencontrent dans les forêts tropicales humides du Mexique et de l’Amérique du Sud. Contrairement à ce que suggère leur nom, elles ne boivent pas de sang, mais se nourrissent de la chair de petits oiseaux, de reptiles et de petits mammifères — y compris d’autres chauves-souris. Monogames, elles élèvent leurs petits ensemble, une caractéristique relativement rare chez les mammifères carnivores.

Pour les observer, l’équipe de Tietge a repéré un tronc creux dans la forêt de Guanacaste, au nord-ouest du Costa Rica, où nichait une famille de quatre chauves-souris javelot : deux parents et deux jeunes. Les chercheurs ont installé une caméra à détection de mouvement au pied de l’arbre afin de suivre la famille pendant soixante jours répartis sur trois mois. L’appareil se déclenchait à chaque mouvement et enregistrait une vidéo d’une minute.

Sur les 502 vidéos obtenues, 73 ont révélé huit types de comportements sociaux, allant des interactions simples au jeu et au partage de nourriture, selon les résultats publiés dans la revue PLOS ONE. À l’intérieur du gîte, les chauves-souris ont notamment été observées en train de se toiletter mutuellement et de se saluer par des câlins accompagnés de petits sons doux lors du retour d’une chasse.

« Le comportement le plus attendrissant consistait à former une boule de câlins au moment de s’endormir : chaque chauve-souris enroulait une aile autour de sa voisine, tous les museaux se touchant », décrit Tietge dans le communiqué. Selon l’équipe, ces étreintes renforceraient les liens familiaux et permettraient aux individus de se reconnaître, probablement grâce à l’odeur.

« … des soins biparentaux rarement documenté chez les chauves-souris »

Par ailleurs, les chercheurs ont observé que les chauves-souris revenant au nid avec une proie la partageaient volontairement avec les autres. Ce comportement pourrait contribuer au sevrage des petits, en facilitant leur transition du lait maternel vers un régime carnivore, et leur permettre d’apprendre à manipuler des proies avant de quitter le gîte. Le mâle a également été vu partageant une capture avec sa partenaire.

Ces observations contredisent l’hypothèse de longue date selon laquelle les chauves-souris javelot sont des chasseurs solitaires. Elles suggèrent aussi que les parents coopèrent pour prendre soin des jeunes sur de longues périodes, comme l’indique la différence d’âge entre les petits. Celle-ci témoigne en effet du temps prolongé passé au sein du nid.

chauves-souris
A + B : Illustrations du comportement d’approvisionnement en proies entre deux chauves-souris. C : Diagramme spaghetti illustrant la différence de distances oculaires entre la chauve-souris transportant une proie et la chauve-souris qui s’approche. © Emma Dittrich/Tietge et al.

« Les chauves-souris spectrales présentent un niveau de coopération et de soins biparentaux rarement documenté chez les chauves-souris », souligne Tietge. « Plutôt que de chasser et d’élever leurs petits de manière isolée, V. spectrum développe des comportements coopératifs complexes, des liens de couple monogames solides ainsi qu’un investissement parental prolongé — des traits très inhabituels chez les mammifères carnivores, en particulier chez les chauves-souris », précise-t-elle.

D’après Rodrigo Medellín, professeur d’écologie à l’Université nationale autonome du Mexique, qui n’a pas participé à l’étude, « nous avons toujours soupçonné que certaines espèces… manifestaient des comportements coopératifs comparables. Mais personne n’avait réellement documenté ces dynamiques ». L’équipe suggère que le développement de liens sociaux solides contribue probablement à la survie de l’espèce. Ces observations offrent ainsi un nouvel éclairage sur l’évolution des comportements collectifs chez les chauves-souris.

Source : PLOS ONE
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