Airbus, Thales et Leonardo, trois grands groupes aérospatiaux européens prévoient de s’unir pour déployer une constellation de satellites destinée à l’Europe, un projet d’envergure visant à concurrencer le réseau Starlink de SpaceX. Baptisé Bromo, le programme vise plus précisément à accroître la souveraineté spatiale européenne, avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 6,5 milliards d’euros.
Starlink exploite aujourd’hui la plus vaste constellation de satellites au monde, avec plusieurs milliers d’engins en orbite terrestre basse. Il s’agit du premier fournisseur d’accès à Internet à privilégier cette orbite, plutôt que la géostationnaire, afin de réduire considérablement le temps de latence (20 millisecondes contre 600 millisecondes pour l’orbite géostationnaire).
La stratégie de l’entreprise repose sur sa capacité à fournir une connexion Internet à haut débit, même dans les régions reculées ou mal desservies. Le réseau Starlink compte actuellement plus de 8 600 satellites opérationnels, tandis que SpaceX a déjà dépassé les 10 000 lancements. Le 317e lot de 28 satellites a été placé en orbite samedi dernier (25 octobre) par une fusée Falcon 9 depuis la base spatiale de Vandenberg, en Californie. Ce tir a également marqué la 135e mission orbitale de SpaceX, établissant un nouveau record pour la société américaine.
L’Europe contre-attaque face à Starlink
En réponse, l’Union européenne prévoit de lancer sa propre constellation de satellites dans le cadre du programme tripartite Bromo. Le programme Bromo inclura le réseau IRIS2, destiné à la communication sécurisée. Ce dernier ne comptera qu’environ 300 satellites, mais se concentrera sur la protection des échanges stratégiques et sur le renforcement de l’autonomie européenne dans les domaines des télécommunications, de la navigation mondiale, des sciences spatiales et de la sécurité nationale.
Le ministre français de l’Économie, Roland Lescure, a qualifié l’annonce « d’excellente nouvelle ». « La création d’un champion européen des satellites nous permet d’accroître les investissements en recherche et d’innovation dans ce secteur stratégique et de renforcer notre souveraineté dans un contexte de concurrence mondiale intense », a-t-il déclaré dans un message publié sur Bluesky.
Le programme sera encadré par une société nouvellement créée, dont la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni participeront au capital. Son siège social sera établi à Toulouse, dans le sud de la France, où les trois entreprises disposent déjà d’importantes installations de production et de recherche et développement. Ce siège serait toutefois réparti en cinq entités juridiques distinctes, afin de préserver les intérêts nationaux de chaque partenaire.
Une alliance industrielle inédite
Si le projet obtient l’approbation des régulateurs, Airbus détiendrait 35 % du capital, tandis que Leonardo (Italie) et Thales (France) en détiendraient chacun 32,5 %. Un PDG et des directeurs généraux seront nommés pour chaque pays, a indiqué un porte-parole d’Airbus à Politico. Des paiements d’équilibrage seraient également prévus pour compenser les différences de valeur entre les actifs apportés, Airbus recevant une compensation selon la performance des différentes activités, une fois l’accord finalisé en 2027.
Les détails financiers de la fusion entre les trois géants de l’aérospatiale n’ont pas été communiqués. Thales a toutefois indiqué qu’un contrat initial d’ingénierie de 100 millions d’euros pour IRIS2 lui permettrait d’atténuer les suppressions de postes initialement envisagées dans ses activités spatiales. Airbus et Thales prévoyaient en effet la suppression d’environ 3 000 emplois à la suite de pertes dans ce secteur.
Sur la base des opérations actuelles, le chiffre d’affaires annuel de la nouvelle entité atteindrait 6,5 milliards d’euros (contre 15 milliards de dollars prévus pour SpaceX cette année) et emploierait près de 25 000 personnes à travers l’Europe. Son carnet de commandes représenterait l’équivalent de plus de trois années de ventes.
Le projet n’inclurait toutefois pas les lanceurs comme les fusées Ariane d’Airbus qui, contrairement aux Falcon 9 de SpaceX, ne sont pas réutilisables. Il viserait plutôt à développer un portefeuille complémentaire de technologies, allant des infrastructures spatiales aux services associés. « Ce partenariat s’inscrit dans les ambitions des gouvernements européens de renforcer leurs atouts industriels et technologiques, garantissant l’autonomie de l’Europe dans le domaine spatial stratégique et de ses nombreuses applications », ont déclaré les trois groupes dans un communiqué conjoint.
La fusion pourrait toutefois se heurter à des obstacles réglementaires, notamment en raison des risques de concentration du marché, qui laisserait peu d’espace aux plus petites entreprises, comme l’allemand OBH. La Commission européenne devra évaluer les bénéfices et les risques d’un tel accord avant d’y donner son feu vert.
La tension observée lors de la tentative de fusion entre Siemens et Alstom, en 2019 — jamais autorisée — pourrait se reproduire. Mais le climat politique européen semble aujourd’hui plus favorable aux initiatives industrielles communes.


