Notre cerveau serait facilement modelable pour suivre les standards de beauté établis par la société, ce qui peut avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale. Cela est particulièrement préoccupant à l’ère des réseaux sociaux, où les idéaux de beauté évoluent rapidement. Mais heureusement, cette malléabilité suggère également qu’il peut être remodelé en réorientant les circuits sous-tendant la satisfaction vers des valeurs plus saines.
La perception erronée de son apparence ou de sa silhouette, par exemple comme étant plus large ou plus mince que l’on n’est en réalité, constitue un problème de santé mentale croissant. Ce phénomène représente en effet un facteur de risque de trouble de l’humeur, d’anxiété et de dépression, de troubles du comportement alimentaire (qui peuvent aussi affecter la santé physique) et d’autres problèmes de santé mentale.
Outre la pression sociale, d’autres facteurs, comme les médias populaires (magazines, cinéma…), peuvent contribuer à cette perception erronée de l’apparence. Ces médias ont fait évoluer les idéaux sociaux de beauté au fil des générations. Dans les années 2000, les critères étaient par exemple orientés vers des styles audacieux mêlant maquillage coloré et accessoires brillants. Inversement, le style « clean girl », devenu populaire vers 2022-2023, s’inspire davantage du minimalisme, privilégiant des façons de se maquiller s’efforçant de paraître « naturel ».
Un contraste de perception similaire s’observe avec la silhouette, les idéaux évoluant fortement selon les époques. Dans les années 1920, la minceur androgyne, inspirée de la figure de la « garçonne », dominait, tandis que les années 1950 ont vu réapparaître la valorisation des formes plus rondes et des tailles marquées.
Cependant, à l’ère des réseaux sociaux, ces critères se transforment à une vitesse inédite, ce qui inquiète les neuroscientifiques quant à leurs impacts potentiels sur la santé mentale. « Chaque nouvel idéal promet une perfection inaccessible à la majorité, alimentant ainsi la comparaison et le manque de confiance en soi », explique dans un article publié dans The Conversation Laura Elin Pigott, maître de conférences en neurosciences et en neuroréadaptation, et responsable de formation au sein du Collège des sciences de la santé et de la vie à l’Université London South Bank.
D’après la chercheuse, des études ont montré que le sentiment d’inadéquation aux critères de beauté est désormais véhiculé non seulement par les réseaux sociaux, mais également par les circuits profonds de notre cerveau. « Comprendre cette science est porteur d’espoir. Si nos perceptions peuvent être éduquées, elles peuvent aussi être rééduquées, nous permettant ainsi de reprendre le contrôle sur ce que signifie la beauté », estime l’experte.
Des idéaux basés sur la répétition
Nous grandissons généralement avec une préférence pour les traits symétriques et esthétiques. Notre cerveau associerait ces traits à une bonne constitution génétique, ce qui en ferait un avantage évolutif. Les systèmes de récompense et d’apprentissage, notamment le noyau accumbens et le cortex orbitofrontal, s’activent en réponse à ce que l’on considère comme « beau » et libèrent de la dopamine, un neurotransmetteur associé au plaisir et à la motivation. Elle est également libérée lorsque nous pensons correspondre à ces critères.
Cependant, des études ont montré que notre perception de la beauté est extrêmement changeante et qu’elle est davantage façonnée par ce que nous voyons de manière répétée. Autrement dit, plus on voit quelque chose, plus on a tendance à l’apprécier – un phénomène que les psychologues appellent « effet de simple exposition ».
Une expérience a par exemple montré que les personnes considéraient les visages comme plus attirants après les avoir vus à plusieurs reprises. Les régions cérébrales impliquées dans la récompense et la reconnaissance faciale étaient plus actives à mesure que l’expérience était répétée. Les signaux liés à l’attention et aux émotions étaient également renforcés.
Ces observations suggèrent que les régions responsables des critères de beauté mettent constamment leurs « modèles » à jour et que le cerveau apprend en permanence à trouver certaines références gratifiantes ou non. Cela expliquerait pourquoi notre société peut rapidement s’adapter à de nouveaux idéaux, même si ceux-ci sont radicalement différents les uns des autres.
Cette malléabilité signifie également que nos idéaux de beauté peuvent dériver vers des critères malsains. Une étude a par exemple montré que les personnes souvent exposées à des visages retouchés numériquement manifestaient par la suite un intérêt moindre envers ceux sans retouches et se sentaient aussi moins satisfaites de leur apparence. « Lorsque nos fils d’actualité sur les réseaux sociaux sont remplis d’images idéalisées et retouchées, notre système de récompense se met à privilégier ces signaux », explique Pigott.
Des idéalisations exacerbées par les réseaux sociaux
D’après l’experte, les réseaux sociaux pourraient exacerber le phénomène, les algorithmes proposant des contenus uniformisés et toujours plus attrayants. Cela pourrait accroître le manque d’estime de soi et l’anxiété liée à l’apparence, en particulier chez les adolescents. L’utilisation fréquente de filtres beauté serait d’ailleurs associée à une préoccupation croissante pour l’apparence et à une perception déformée de la réalité.
Toutefois, si l’exposition répétée à des images idéalisées peut modeler le cerveau, l’effet inverse pourrait aussi se produire en diffusant davantage d’images réalistes et diversifiées. Pour ce faire, Pigott recommande de sélectionner les publications sur les réseaux sociaux pour inclure différents types de silhouettes, de teints et d’âges. « Développer sa résilience implique aussi de modifier nos sources de récompense. Les mêmes zones du cerveau qui réagissent à l’apparence physique s’activent également face aux réussites, aux liens sociaux, à la créativité et à la bienveillance », souligne-t-elle.
« La science est formelle : notre cerveau réagit à ce qu’on lui présente. Forts de ce constat, nous pouvons prendre conscience de la manipulation et choisir de reprendre le contrôle de notre perception de la beauté », conclut-elle.

