En effectuant des fouilles sur le site de la grotte de la Monaca, en Calabre, en Italie, des archéologues ont mis au jour le squelette d’un préadolescent dont les parents étaient père et fille. Il s’agit, d’après les chercheurs, de la plus ancienne preuve de ce type de relation incestueuse en Europe, le site funéraire remontant notamment à 1780-1380 avant notre ère. La découverte offre un nouvel aperçu des dynamiques culturelles et communautaires à l’âge du Bronze méditerranéen.
Bordée par la mer Ionienne à l’est et au sud et par la mer Tyrrhénienne à l’ouest, la Calabre est la région la plus méridionale de la péninsule italienne. Elle possède une histoire complexe, marquée par des migrations anciennes et récentes qui ont façonné la structure et la génétique de sa population. Par exemple, la colonisation hellénique, menée par la Grèce au VIIIe siècle avant notre ère, a entraîné de profonds changements démographiques dans tout le sud du pays.
Cependant, si les migrations historiques survenues en Calabre sont relativement bien documentées, la structure des populations indigènes préhistoriques demeure largement méconnue. Une équipe internationale dirigée par le Centre Max Planck-Harvard sur la Méditerranée antique (à Leipzig, en Allemagne) et l’Université de Bologne (Italie) a, pour la première fois, reconstitué le profil génétique et social d’une communauté protoapennine ayant résidé dans le nord-ouest de la Calabre il y a environ 3 500 ans, en étudiant le site funéraire de la grotte de la Monaca.
La culture protoapennine est une culture archéologique de l’âge du Bronze italien, caractérisée par des communautés montagnardes, un art de la céramique spécifique et une identité sociale distincte. C’est à cette culture qu’appartiennent les individus inhumés dans la grotte de la Monaca, dont l’étude permet aujourd’hui d’éclairer les liens de parenté et certaines pratiques culturelles.
Une communauté montagnarde diversifiée
Située à 600 mètres d’altitude dans le massif du Pollino, la grotte de la Monaca a servi de lieu de sépulture entre 1780 et 1380 avant notre ère. Elle figure parmi les sites préhistoriques les plus importants de Calabre, car elle est connue pour receler, dans la région, parmi les premières traces d’exploitation du cuivre et du fer. Pour effectuer leurs analyses, l’équipe de la nouvelle étude a séquencé l’ADN des 23 personnes qui y étaient inhumées.
L’équipe a pu identifier le sexe de dix femmes et de huit hommes. La diversité des haplotypes d’ADN mitochondrial et de chromosome Y — des éléments génétiques héréditaires — a montré que le groupe était composé de personnes d’origines diverses. Autrement dit, malgré son isolement géographique apparent, la communauté n’était pas génétiquement isolée.
Deux individus présentaient des liens ancestraux avec des populations du nord-est de l’Italie, suggérant des échanges génétiques de longue distance à travers la péninsule. Les génomes des personnes enterrées dans le cimetière ont également révélé un héritage issu de chasseurs-cueilleurs européens, d’agriculteurs néolithiques anatoliens et d’éleveurs des steppes.
« Notre analyse montre que la population de la grotte de la Monaca partageait de fortes affinités génétiques avec les groupes du début de l’âge du Bronze en Sicile, mais ne présentait pas les influences de la Méditerranée orientale que l’on retrouve chez leurs contemporains siciliens », explique dans un communiqué Francesco Fontani, premier auteur de l’étude et chercheur associé au Centre de recherche Max Planck-Harvard sur la Méditerranée antique. « Cela suggère que, malgré les contacts à travers le détroit de Messine, la Calabre tyrrhénienne a suivi ses propres trajectoires démographiques et culturelles durant la préhistoire », ajoute-t-il.

Un enfant né d’un père et de sa fille
En étudiant les liens de parenté entre les personnes enterrées, les chercheurs ont identifié une organisation funéraire fondée sur le sexe. Les proches sont enterrés en groupe, les mères et les filles étant par exemple placées côte à côte. Le cas d’un homme adulte inhumé à côté d’un garçon préadolescent se distinguait toutefois des autres : l’enfant présentait un taux d’homozygotie étonnamment élevé.
Les taux d’homozygotie au niveau de l’ADN désignent les proportions de matériel génétique transmises des parents aux enfants. Plus ce taux est élevé, plus le lien de parenté — ou le taux de consanguinité — est étroit. La plupart des personnes enterrées dans la grotte présentaient des taux d’homozygotie faibles, indiquant une parenté éloignée.
Le préadolescent faisait figure d’exception, avec une somme exceptionnellement élevée de régions homozygotes dans son ADN, que les auteurs de l’étude décrivent comme la plus élevée observée à ce jour dans les données génomiques anciennes européennes.
Des analyses approfondies ont confirmé que le jeune garçon avait été conçu à la suite d’une union incestueuse au premier degré : il était le fils de l’homme adulte enterré à ses côtés et de la propre fille de celui-ci. Aucune trace des restes de la mère n’a cependant été retrouvée.
« Ce cas exceptionnel pourrait indiquer des comportements culturels spécifiques à cette petite communauté, mais sa signification demeure incertaine », note Alissa Mittnik, responsable du groupe au département d’archéogénétique de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste et coautrice principale de l’étude, publiée le 15 décembre dans la revue Communications Biology.

Exception culturelle ou violence ?
Les humains ont généralement tendance à éviter les mariages incestueux, principalement en raison de tabous culturels. Les mariages entre frères et sœurs étaient néanmoins courants dans certaines familles royales anciennes, comme celle de l’Égypte antique. Les unions entre fratries sont toutefois considérées comme des mariages de second degré, tandis que celles entre parents relèvent du premier degré et entraînent un risque plus élevé de transmission de maladies génétiques. Les chercheurs ont recherché d’éventuelles traces de telles pathologies chez le garçon de Monaca, sans en identifier.
La présence de cette union incestueuse apparaît d’autant plus surprenante que la communauté de la grotte de la Monaca n’était ni particulièrement réduite ni fortement contrainte dans sa mobilité, et ne semblait pas non plus reposer sur un système de succession hiérarchique où le mariage entre parents aurait permis de préserver un pouvoir ou une richesse. Il est également possible que cette union ait été socialement acceptée, ce qui pourrait expliquer pourquoi le père du jeune garçon était le seul homme adulte enterré dans un cimetière majoritairement composé de femmes et d’enfants. Il pourrait aussi s’agir du résultat d’une violence ou d’une union forcée. Mais ces hypothèses resteront peut-être à jamais sans réponse.


