Un trou noir supermassif d’au moins 10 millions de masses solaires a été détecté en train de filer à une vitesse de 954 km/s à travers l’espace intergalactique après avoir été éjecté de sa galaxie hôte, l’une des premières confirmations observationnelles solides de l’existence de ce type d’objet. L’éjection aurait été provoquée par deux trous noirs qui ont fusionné après la collision de leurs galaxies, ce qui aurait engendré une force gravitationnelle fortement asymétrique poussant le trou noir résultant vers l’extérieur.
Les galaxies ont tendance à s’organiser en réseau sur la toile cosmique, leurs trous noirs supermassifs centraux suivant cette distribution, à la manière de nœuds invisibles structurant l’Univers. Les galaxies se forment autour d’eux, et leur évolution, leur croissance ainsi que leurs comportements globaux sont façonnés par leurs trous noirs centraux. Mais si les trous noirs supermassifs au centre des galaxies deviennent généralement inactifs au bout d’une certaine période, d’autres restent actifs ou deviennent le théâtre d’événements astronomiques extrêmes.
Les astronomes ont prédit il y a environ cinquante ans que les trous noirs supermassifs galactiques peuvent, sous certaines conditions, être éjectés de leurs galaxies hôtes. Des perturbations suffisamment importantes, telles qu’une collision, pourraient les déloger des centres galactiques et les propulser dans l’espace intergalactique.
Les modélisations suggèrent qu’un nombre conséquent de tels trous noirs errants — ou trous noirs fugitifs — serait présent dans l’Univers, et plusieurs candidats ont déjà été identifiés. Il s’agit notamment de trous noirs isolés semblant se déplacer à grande vitesse à travers l’espace intergalactique. Des galaxies paraissant dépourvues de trous noirs centraux ont également été observées.
En effectuant des observations avec le télescope spatial James Webb (JWST), des chercheurs de l’Université de Yale ont apporté pour la première fois une confirmation observationnelle solide de l’existence d’un trou noir fugitif éjecté de sa galaxie hôte. « L’échappement occasionnel de trous noirs supermassifs (SMBH) de leurs galaxies hôtes est une prédiction de longue date des études théoriques », écrivent-ils dans leur étude en prépublication sur arXiv. « Nous présentons des observations JWST/NIRSpec IFU d’un trou noir supermassif candidat en fuite à l’extrémité d’une structure linéaire de 62 kpc de long à z = 0,96. »
Une onde de choc et une traînée de formation d’étoiles
Baptisé RBH-1, le trou noir fugitif — qui n’était alors qu’un candidat — a été repéré pour la première fois en 2023. Il est situé à environ 8,8 milliards d’années-lumière, dans la galaxie du Hibou cosmique, ainsi nommée car il s’agit d’une paire de galaxies annulaires dont l’apparence évoque les yeux du rapace nocturne. Le Hibou cosmique présentait une longue structure linéaire — une traînée de formation d’étoiles — orientée vers son extérieur, suggérant qu’il pouvait s’agir de la « queue » laissée par le trou noir fugitif.

Le détecteur infrarouge NIRSpec IFU du JWST a permis de confirmer la présence d’une traînée d’étoiles longue de 200 000 années-lumière, ainsi que celle d’une onde de choc, appuyant fortement l’interprétation selon laquelle il s’agit d’un trou noir fugitif se déplaçant à grande vitesse — à 0,32 % de la vitesse de la lumière, soit environ 954 km/s — en direction de l’espace intergalactique.
Plus précisément, le JWST a permis de cartographier la distribution des vitesses à travers l’onde de choc située devant le trou noir lorsqu’il traverse à grande vitesse le nuage de gaz et de poussière entourant sa galaxie hôte. Le décalage de la lumière en amont et en aval de l’onde a ainsi pu être mesuré.
Les résultats révèlent une différence de vitesse soudaine et significative : la matière située en aval de l’onde de choc se déplace à une vitesse supérieure de 600 km/s à celle observée en amont. Le gaz entourant les bords extérieurs de l’onde de choc est fortement décalé vers le rouge, signe qu’il s’éloigne de nous. « Nous constatons donc que la cinématique observée à l’extrémité de RBH-1 est qualitativement cohérente avec les prévisions concernant une forte onde de choc supersonique », écrivent les chercheurs.



Une collision galactique comme moteur d’éjection
Il existe deux mécanismes susceptibles de permettre à un trou noir supermassif d’acquérir la force de poussée nécessaire et d’atteindre la vitesse requise pour être éjecté de sa galaxie. Le premier résulte d’une interaction gravitationnelle à trois corps ; le second correspond à un recul dû aux ondes gravitationnelles émises lors de la fusion de deux trous noirs.
Ces deux processus peuvent, selon les chercheurs, se produire naturellement lors d’une fusion galactique, notamment lorsque les trous noirs des galaxies initiales se retrouvent au centre de la galaxie issue de la collision. D’après l’équipe, « les résultats confirment que le sillage est alimenté par un trou noir supermassif en fuite supersonique, une conséquence prédite depuis longtemps du recul des ondes gravitationnelles ou de l’éjection à plusieurs corps des noyaux galactiques ».
Les caractéristiques de RBH-1 correspondent davantage au scénario d’une fusion de trous noirs supermassifs consécutive à celle de leurs galaxies hôtes. Cet événement aurait libéré une force gravitationnelle fortement asymétrique, générant une impulsion suffisante pour éjecter le trou noir issu de la fusion. La vitesse de RBH-1, ainsi que la masse de la galaxie résultante, sont compatibles avec ce mécanisme.





