Et si Homo erectus n’avait pas quitté l’Afrique seul ? Une nouvelle étude remet en question le modèle dominant

Deux espèces anciennes distinctes seraient parties d’Afrique à peu près au même moment.

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Reconstruction faciale représentant un individu mâle d'Homo georgicus. | Cicero Moraes et alii (Luca Bezzi, Nicola Carrara, Telmo Pievani)/Wikimedia commons
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En effectuant des analyses basées sur la dentition des fossiles de Dmanisi, des chercheurs affirment avoir mis au jour des indices solides de l’existence d’une autre lignée ancestrale distincte de Homo erectus. Autrement dit, deux espèces humaines anciennes distinctes auraient quitté l’Afrique à peu près au même moment au lieu d’une, comme le suggère la version classique de l’hypothèse « Out of Africa I ». Ces données renforcent l’hypothèse, de plus en plus discutée, de plusieurs lignées humaines ancestrales africaines.

L’hypothèse populaire concernant la migration des premiers humains depuis l’Afrique suggère que la première espèce à avoir quitté le continent, il y a près de 1,8 million d’années, était Homo erectus. Cette hypothèse, baptisée « Out of Africa I » (à ne pas confondre avec « Out of Africa II », qui désigne la seconde grande migration hors d’Afrique survenue chez Homo sapiens il y a environ 200 000 ans), fait cependant depuis peu l’objet de débats en raison de la découverte de nouveaux fossiles.

Ces débats sont particulièrement alimentés par les cinq fossiles d’hominidés découverts dans les années 1990 sur le site paléontologique de Dmanisi, en Géorgie, et datant d’environ 1,8 million d’années. Il s’agit de certains des crânes humains les plus anciens jamais découverts hors d’Afrique, parmi les plus anciens connus à ce jour, et qui ont initialement été classés en tant qu’Homo erectus. Cependant, des analyses plus approfondies ont révélé des différences fondamentales suggérant qu’ils auraient pu appartenir à des espèces différentes.

Autrement dit, ces différences suggèrent que plusieurs espèces du genre Homo seraient parties d’Afrique en même temps pour coloniser l’Europe et les autres continents, plutôt qu’une seule. Certains des crânes sont par exemple plus grands que les autres, en particulier le numéro 5, qui présente une petite boîte crânienne mais un visage massif et proéminent. D’autres analyses ont identifié des similitudes avec les Australopithèques et Homo habilis, mais la classification en tant qu’Homo erectus a tout de même été maintenue.

D’autres théories avancent en revanche que ces différences pourraient s’expliquer par un dimorphisme sexuel — une différence morphologique entre les mâles et les femelles — marqué au sein d’une même espèce. Cependant, les analyses précédentes se basaient principalement sur la craniométrie. Or, l’étude des crânes ne constitue pas nécessairement le meilleur moyen d’identifier une espèce.

La dentition: un meilleur outil d’identification ?

Dans une étude publiée récemment dans la revue PLOS ONE, des chercheurs de l’Université de São Paulo proposent une nouvelle analyse fondée sur l’émail dentaire. « Les évaluations taxonomiques des hominidés géorgiens du Pléistocène se sont principalement concentrées sur des analyses craniométriques, peu d’études abordent la morphologie dentaire par des approches métriques », écrivent-ils.

L’équipe de l’Université de São Paulo estime que la dentition est plus utile pour l’identification d’espèces fossiles, car l’émail dentaire est l’un des matériaux biologiques les plus solides fabriqués par l’organisme humain et les primates en général. À l’inverse, les crânes seraient plus susceptibles de se déformer ou de s’écraser au fil du temps.

Pour mener leur analyse, les chercheurs ont étudié les dents de trois spécimens de Dmanisi, dont le célèbre spécimen numéro 5, en se concentrant sur la couronne des dents postérieures (prémolaires et molaires). Les données dentaires ont été comparées à celles issues d’une base de données comprenant 122 autres spécimens d’hominidés fossiles, dont des Australopithèques et plusieurs autres espèces du genre Homo.

Deux espèces contemporaines au lieu d’une seule ?

Au total, 583 dents ont été analysées à l’aide d’un outil de triage statistique afin d’établir une cartographie biologique et de déterminer si les fossiles de Dmanisi appartenaient à une seule ou à plusieurs espèces d’hominidés. « Les affinités morphologiques ont été examinées visuellement à l’aide des deux premières fonctions discriminantes, et les relations taxonomiques ont été testées par des analyses de classification fondées sur les probabilités a posteriori », expliquent les chercheurs.

Les résultats ont révélé que les trois spécimens de Dmanisi n’appartenaient pas à une seule et même espèce. D’après les chercheurs, les caractéristiques du spécimen numéro 5 correspondraient étroitement, sur le plan dentaire, à celles des Australopithèques, tandis que les deux autres spécimens présenteraient des traits plus proches du genre Homo. L’équipe propose ainsi de classer le spécimen numéro 5 comme Homo georgicus et les deux autres comme Homo caucasi.

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Affinités morphologiques de Dmanisi comparées à celles d’autres espèces d’hominidés, d’après les deux premières fonctions discriminantes calculées à partir des aires de la dentition maxillaire. © Nery et al.

« L’analyse de la zone de la couronne dentaire post-canine des fossiles d’hominidés de Dmanisi… soutient l’hypothèse de la coexistence temporelle d’espèces distinctes sur le site (Homo caucasi et Homo georgicus). Cette possibilité remet en question le modèle dominant de la migration d’Homo erectus hors d’Afrique », écrivent les chercheurs dans leur article.

Ils ont en outre cherché à explorer l’hypothèse du dimorphisme sexuel, notamment en comparant les données dentaires fossiles à celles des grands singes actuels. Ils ont constaté que chez certains grands primates, comme les gorilles, les mâles sont nettement plus grands que les femelles tout en présentant une dentition de base similaire. Or, les différences observées entre les dents de Dmanisi sont si marquées que de simples distinctions entre mâles et femelles au sein d’un même groupe ne suffiraient pas à les expliquer.

Les chercheurs précisent toutefois que des analyses portant sur un plus grand nombre de spécimens seront nécessaires pour confirmer ces résultats. Néanmoins, ces nouvelles données pourraient avoir des implications notables sur la chronologie et la compréhension de la dispersion du genre Homo hors de l’Afrique.

Source : PLOS ONE
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