Prédite aux débuts des années 1920 par le chanoine Georges Lemaître puis confirmée en 1929 par l’astronome Edwin Hubble, l’expansion de l’univers est un phénomène activement étudié par l’astrophysique moderne. Non seulement l’univers s’étend, mais les scientifiques ont également découvert en 1998 que cette expansion s’accélérait. Cependant, depuis quelques années, un problème ennuie particulièrement les physiciens : l’accélération de l’expansion de l’univers est bien plus rapide qu’elle ne devrait l’être.
Bien qu’elle soit étudiée depuis le début du 20ème siècle, l’expansion de l’univers n’a pas encore livrée tous ses secrets. Pour ajouter de la complexité au phénomène, celle-ci accélère (la découverte de l’accélération de l’expansion sera d’ailleurs l’objet du prix Nobel de physique décerné en 2011 à S. Perlmutter, B. P. Schmidt et A. G. Riess). Pour expliquer cette accélération, les physiciens ont développé plusieurs hypothèses au nombre desquelles figure l’énergie noire.
La nature de l’énergie noire demeure encore inconnue, bien que de nombreuses théories aient vu le jour depuis ces dernières années, tentant d’en expliquer à la fois l’origine et la dynamique. Si l’énergie noire est une énigme, l’accélération de l’expansion est quant à elle, concrètement observée. En effet, par comparaison entre la luminosité et le décalage vers le rouge des supernova de type Ia, Adam G. Reiss et ses collègues ont montré en 1998 que la vitesse de récession (vitesse d’éloignement) des galaxies par rapport à la Voie lactée, augmentait au cours du temps.
Le taux d’expansion actuel – la vitesse d’expansion en quelque sorte – est donné par la constante de Hubble notée H0 et exprimée en (km/s)/Mpc (mégaparsec). Cela signifie que pour H0 = 80 (km/s)/Mpc, une galaxie située à 1 Mpc (3.26 millions d’années-lumière) s’éloigne à 80 km/s ; une galaxie située à 10 Mpc s’éloigne à 800 km/s, et ainsi de suite. Ainsi, sur de très grandes distances, l’expansion de l’univers peut se dérouler à des vitesses supérieures à celle de la lumière dans le vide.
La constante de Hubble est déterminée par l’étude d’étoiles variables dont la période de variation d’éclat est connue : les céphéides. En connaissant leur période de variation, il est ensuite possible de déterminer leur distance et donc la vitesse à laquelle elles s’éloignent de notre galaxie. Plusieurs mesures de cette constante ont été réalisées par diverses missions (Planck, Hubble, WMAP, H0liCOW…) depuis le début des années 2000.
Lancée en 2009, la mission Planck avait pour mission d’analyser et d’étudier en profondeur le fond diffus cosmologique, c’est-à-dire le flux de photons émis 380’000 ans après le Big Bang. Les données recueillies (rendues publiques en mars 2013) ont permis au satellite de déterminer une valeur précise de 67.8 (km/s)/Mpc pour la constante de Hubble. Cependant, dans une étude acceptée pour publication dans The Astrophysical Journal, une équipe d’astrophysiciens dirigée par Adam. G. Reiss en propose une nouvelle valeur bien supérieure.
En utilisant le satellite Hubble, les auteurs ont en effet déterminé une nouvelle valeur égale à 73.48+/-1.66 (km/s)Mpc, soit 9% plus élevée que celle mesurée par Planck. De précédentes valeurs, également supérieures, avaient déjà été obtenues par Hubble mais comportaient d’importantes incertitudes de mesure. Cependant, cette fois-ci, en calibrant plus finement le télescope de manière à affiner la mesure des parallaxes de neuf céphéides situées entre 1.7 et 3.6 kpc de la Terre, les astrophysiciens ont réussi à réduire l’incertitude en dessous des 2.3%. Une valeur bien inférieure à l’objectif initial de Hubble qui était de déterminer la constante de Hubble avec une incertitude de 10%.
Grâce à cette nouvelle précision, les chercheurs ont donc la confirmation que la dynamique de l’expansion de l’univers primitif était bien différente de sa dynamique actuelle. En revanche, cela confirme également l’épineux problème que les scientifiques avaient déjà soulevé il y a quelques années : pour quelles raisons les données de Planck et de Hubble divergent-elles aussi drastiquement ?
« Les deux résultats ont chacun été confirmés à de multiples reprises, donc à moins qu’il s’agisse d’une série d’erreurs de mesures sans rapport les unes avec les autres, il est fort probable qu’il s’agisse d’un véritable phénomène propre à l’univers » explique Adam Reiss, chercheur au Space Telescope Science Institute. Si les mesures de Planck et de Hubble sont toutes les deux correctes, alors nos modèles théoriques devront être sérieusement révisés. Les physiciens ont déjà commencé à s’aventurer dans le développement de certaines hypothèses.
L’une d’elles concerne l’énergie noire. Celle-ci, en plus d’être à l’origine de l’accélération de l’expansion, subirait elle-même une accélération intrinsèque. L’expansion accélérait donc toujours plus vite selon un taux exponentiellement croissant. Une autre hypothèse fait intervenir les neutrinos stériles ; uniquement sensibles à la gravité, ces neutrinos particuliers se propageraient à une vitesse ultra-relativiste et affecteraient ainsi la dynamique de l’univers. Enfin, une autre affirme que cette divergence de valeurs pourrait être due à une importante sous-estimation de la densité d’énergie de la matière noire.
Chacune de ces explications, si elles s’avéraient correctes, nécessiterait une refonte complète de notre modèle cosmologique. Néanmoins, de nombreuses observations doivent encore être menées pour ne serait-ce que commencer à conforter l’une d’elles. De quoi nous assurer un foisonnement de découvertes dans les années à venir.