Une équipe internationale de scientifiques a généré la première preuve d’un tout nouvel état exotique de la matière, connu sous le nom de polarons de Rydberg. Cet état de la matière se forme à des températures ultra froides, lorsqu’un électron orbite son noyau à une distance si grande que d’autres atomes finissent par se lier à l’intérieur de l’orbite. Tous ces atomes forment une liaison faible qui génère les polarons de Rydberg.
En image de titre, vous pouvez voir une illustration représentant cet « atome géant », rempli d’autres atomes : l’électron est représenté en bleu, le noyau en rouge et à l’intérieur de l’orbite de l’électron se trouve un groupe d’autres atomes, en vert.
Alors, comment cela fonctionne-t-il exactement ? Si vous prenez un tas d’atomes de strontium, que vous les refroidissez, puis vous en excitez un, vous remarquerez une chose étrange : cet atome heureux fera plein de câlins à ses amis les plus proches. La manière dont cette molécule mutante s’accroche pourrait fournir un aperçu de la façon dont les particules interagissent à des températures extrêmement basses.
Mais la physique des particules dans le monde réel est un peu plus complexe que cela : les électrons n’ont pas tendance à tourner comme des lunes autour des planètes, mais plutôt d’exister dans des nuages de probabilités. Pourtant, ce nuage de positions potentielles se trouve à une distance précise, où vous êtes moins susceptibles de trouver un électron. Les physiciens se sont alors demandé s’il était possible d’insérer un autre atome entier à l’intérieur de cet espace.
Afin de tester cela, une équipe de chercheurs américains et autrichiens a combiné des études sur les condensats de Bose-Einstein avec la création d’objets, appelés atomes de Rydberg. Lorsque vous aspirez autant d’énergie thermique que possible à partir d’une collection d’atomes, ces derniers ont tendance à perdre leurs identités individuelles et à se partager mutuellement leurs états quantiques. Cette phase de la matière s’appelle un condensat de Bose-Einstein, et bien qu’il soit difficile de faire descendre les particules à des températures proches du zéro absolu, cela crée des conditions parfaitement propices pour étudier leurs propriétés quantiques.
Dans ce cas précis, les chercheurs ont refroidi un certain nombre d’atomes de strontium dans un condensat, puis ont frappé l’un d’eux avec un laser. Le but était de le frapper exactement de la bonne manière pour stimuler un ou plusieurs de ses électrons, afin qu’il se retrouve dans une orbite éloignée du noyau, créant un état excité, appelé un atome de Rydberg.
De quel ordre de grandeur il s’agit lorsque nous parlons de grande distance au noyau ? « La distance moyenne entre l’électron et son noyau peut atteindre plusieurs centaines de nanomètres », explique le physicien théoricien des particules, Joachim Burgdörfer du TU Wien à Vienne. Pour mettre cela en perspective : c’est plus de mille fois le rayon d’un atome d’hydrogène, ce qui suggère qu’il y a largement de la place pour y glisser au moins un autre atome entier. Des simulations par ordinateur ont indiqué que la distance entre les atomes serait beaucoup plus petite que la distance entre l’électron et son noyau. En théorie, ce saut quantique devrait permettre à 170 atomes de strontium de se loger dans cet espace.
La grande question était de savoir comment le tas d’atomes, situé dans cette étreinte inhabituelle, pourrait influencer les autres atomes présents : « Les atomes ne portent aucune charge électrique, par conséquent ils n’exercent qu’une force minimale sur l’électron », explique le physicien Shuhei Yoshida, également de TU Wien. Mais l’électron excité est encore tout de même poussé par les atomes de strontium qui le séparent du noyau. Cela n’est pas suffisant pour le faire dévier de son orbite, mais ce léger effet de diffusion devrait suffire à réduire la quantité totale d’énergie dans tout le système.
Une telle baisse d’énergie pourrait théoriquement permettre d’établir une liaison faible entre l’atome de Rydberg et les autres atomes de strontium situés dans l’orbite de son électron (ce qu’on appelle les polarons de Rydberg), un phénomène dont les chercheurs ont trouvé la preuve dans les résultats de leur expérience. « C’est une situation très inhabituelle. Normalement, nous avons affaire à des noyaux chargés, à des électrons qui se lient autour d’eux. Mais dans ce cas, nous avons un électron liant des atomes neutres », explique Yoshida.
Par contre, ne vous attendez pas à pouvoir construire quoi que ce soit à partir de ces polarons moléculaires de Rydberg. Ce n’est pas le but de cette recherche. Ce qui est intéressant ici, c’est la capacité à manipuler des atomes dans un condensat, et dans des états aussi étranges. « Pour nous, ce nouvel état de la matière faiblement lié est une nouvelle possibilité passionnante d’étudier la physique des atomes ultrafroids. De cette façon, on peut sonder les propriétés d’un condensat de Bose-Einstein sur de très petites échelles avec une très grande précision », explique Burgdörfer.