Au cours de la première moitié du 20ème siècle, le génie d’Alan Turing va révolutionner les mathématiques, l’informatique et la cryptologie. Mais le scientifique britannique ne s’est pas contenté de ces domaines là. Il a également travaillé sur des questions de biologie, notamment sur le sujet des schémas répétitifs morphologiques chez les animaux et les plantes. L’un de ses papiers sur ce sujet a ainsi permis à des chercheurs chinois de développer un tout nouveau type de filtration de l’eau extrêmement efficace.
Sur la base d’un article traitant de la morphogenèse publié par Alan Turing dans les années 1950, des scientifiques ont réalisé une structure de filtration nanométrique permettant la désalinisation de l’eau, et celle-ci s’avère être bien plus efficace que les systèmes actuellement sur le marché. En effet, en 1952, Turing se penche sur le mécanisme à l’origine des schémas répétitifs chez les êtres vivants : des rayures de zèbre aux tâches de léopard, en passant par les tourbillons végétaux et striures des tentacules, de nombreuses espèces arborent des mosaïques de couleurs, formes et textures.
Turing explique ce phénomène grâce aux morphogènes, des hormones importantes régulant l’activité et l’organisation cellulaire (production de pigments, croissance, etc). Elles jouent plus particulièrement un rôle durant le développement embryonnaire, en affectant le positionnement des cellules et la formation d’axes de polarité. Les différentes manières et vitesses selon lesquelles ces hormones sont diffusées à travers les tissus organiques pourraient être à l’origine de l’apparition de tels schémas répétitifs. Une publication parue en 2012 dans le journal Nature Genetics a conforté cette explication en montrant que les crêtes présentes dans la bouche des souris se développaient selon le modèle de Turing.
S’inspirant de ce modèle, des bio-ingénieurs de l’université de Zhejiang (Chine) ont souhaité réaliser un système de filtration à base de polyamide. Le polyamide est obtenu à partir de la réaction de polymérisation entre le chlorure de trimésoyle (TMC) et la pipérazine. Le TMC se diffusant plus rapidement que la pipérazine dans la solution étudiée (interphase huileuse/aqueuse), le système correspond donc au modèle morphogénique proposé par Turing. Cependant, le TMC se diffusant trop rapidement pour les besoins de l’expérience, de l’alcool de polyvinyle a été utilisé pour le ralentir.
L’observation du matériau par microscopie à force atomique a révélé un réseau nanométrique de tubes entremêlés sur une structure poreuse 3D. Pour éprouver la capacité de filtration du matériau, les scientifiques l’ont testé avec plusieurs eaux salées différentes. Certains gros sels, comme le sulfate de magnésium, ont été filtrés quasiment totalement. Tandis que pour des diamètres inférieures, comme le chlorure de sodium, la membrane n’en a filtré que la moitié. Bien que cela paraisse peu, il s’agit d’une capacité de filtration supérieure aux filtres actuels.
Capable de filtrer 125 litres par heure sous une pression de 5 atmosphères, ce filtre est 3 fois plus efficace que ceux disponibles sur le marché concernant la filtration de l’eau, et pourrait donc prochainement être mis en vente. Ces résultats peuvent également servir à des bio-ingénieurs travaillant dans d’autres domaines. Ainsi, une telle structure poreuse pourrait permettre l’élaboration de structures bio-synthétiques plus résistantes, pour le développement d’organes artificiels.