La malade d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative incurable, entraînant la perte progressive des fonctions neuro-cognitives. Elle est caractérisée par l’apparition de deux types de lésions : des dépôts amyloïdes et des lésions neurofibrilaires. De nombreuses pistes thérapeutiques sont explorées et, récemment, une équipe de neurobiologistes à découvert que le tétrahydrocannabinol (THC) présent dans le cannabis pourrait considérablement réduire l’apparition de ces lésions.
La découverte vient conforter les résultats de précédentes études ayant déjà démontré des effets bénéfiques protecteurs des cannabinoïdes, comme le THC, chez les patients atteints de maladies neurodégénératives. « Bien que les autres études aient offert des preuves de la fonction protectrice des cannabinoïdes contre les symptômes de la maladie d’Alzheimer, la nôtre est cependant la première à démontrer que les cannabinoïdes agissent aussi bien sur l’inflammation neurofibrilaire que sur les accumulations de bêta amyloïdes dans les cellules nerveuses » explique David Schubert, neurologue au Salk Institute for Biological Studies (Californie). Les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue Aging and Mechanisms of Disease.
L’équipe de Schubert a testé les effets du THC sur des neurones humains cultivés in vitro dans un environnement répliquant les symptômes de la maladie d’Alzheimer. Isolé en 1964 par les médecins israéliens Raphael Mechoulam et Yechiel Gaoni de l’institut Weizmann, le THC est le cannabinoïde majoritaire du cannabis et possède des effets anti-inflammatoires et anti-métastasiques. Il a ainsi montré certains effets thérapeutiques dans diverses affections comme le VIH, les douleurs chroniques, les attaques cardiaques, les troubles traumatiques, etc. Devant les nombreux avantages du THC, les scientifiques cherchent actuellement à développer une forme génétiquement modifiée du cannabis, produisant bien plus de THC que la forme naturelle.
La molécule fonctionne en traversant la barrière hémato-pulmonaire et en se liant à deux récepteurs cannabinoïdes (C1 et C2), présents à la surface de toutes les cellules de l’organisme. Dans le cerveau, ces récepteurs sont majoritairement retrouvés à la surface des neurones impliqués dans le plaisir, la mémoire, la réflexion, la coordination et la perception du temps, et généralement associés à un type de molécule lipidique appelée « endocannabinoïde » produit par l’organisme lors de l’activité physique, à des fins de signalisation cellulaire.
En se liant à ces molécules, le THC peut altérer la communication neuronale ; c’est ce qu’il se passe lorsque, en fumant ou juste après avoir fumé, les consommateurs ont des pertes de mémoire ou sont incapables de coordonner leurs mouvements. Au cours des dernières années, les chercheurs ont montré que la liaison du THC aux endocannabinoïdes pourrait avoir un effet bénéfique sur le vieillissement cérébral, car elle aiderait l’organisme à évacuer les dépôts de protéines bêta amyloïdes.
Les conditions exactes d’apparition de la maladie d’Alzheimer ne sont pas encore bien connues. Deux types de lésions sont présentes : les dépôts (ou plaques) amyloïdes qui consistent en des accumulations de protéines bêta amyloïdes entre les neurones, et les lésions neurofibrilaires causées par une forme pathogène des protéines Tau, qui s’assemblent en une masse dense et compacte dans les neurones. Des études ont montré que ces lésions pouvait provenir de l’inflammation des tissus cérébraux et les scientifiques se sont donc tournés vers un composé qui réduirait l’inflammation tout en permettant à l’organisme de s’en défaire.
En 2006, des neurobiologistes du Scripps Research Institute ont découvert que le THC inhibait la formation de plaques amyloïdes en bloquant l’enzyme à l’origine de leur apparition. L’équipe de Schubert a complété ces résultats en montrant que le THC pouvait considérablement réduire la réponse inflammatoire des tissus nerveux et donc réduire le nombre des lésions.
« L’inflammation cérébrale est l’une des composantes majeures de la maladie d’Alzheimer, mais il a longtemps été suggéré que cette réponse inflammatoire provenait de cellules immunitaires dans le cerveau, et non des tissus nerveux eux-mêmes » explique Antonio Currais, auteur de l’étude. « Lorsque nous avons pu identifier le mécanisme moléculaire à l’origine de la réponse inflammatoire due à la présence de plaques amyloïdes, il est devenu évident que des composés similaires au THC, que les cellules nerveuses synthétisent elles-mêmes, pourraient être impliqués dans la protection cellulaire ».
Bien que ces résultats soient prometteurs, ils n’ont été obtenus qu’in vitro dans le cadre du laboratoire, et la prochaine étape sera donc de tester les effets du THC sur l’apparition des lésions neurodégénératives lors d’essais cliniques. Les auteurs ont déjà rapporté avoir mis en évidence une molécule nommée « J147 » mimant les effets du THC, et qui pourrait donc servir à ces essais cliniques tout en restant dans les limites de la loi. D’ailleurs, les récents changements de législation au sujet du cannabis aux États-Unis devraient rendre ce genre de recherche plus aisée dans le futur.