Comme vous le savez, au sens large, qui dit liaison dit « lien entre deux ou plusieurs éléments » et au niveau physique/chimique, lorsque l’on parle de liaison entre atomes, cela concerne bien évidemment deux atomes. Et si l’on vous disait qu’il est possible, dans certaines circonstances, d’établir l’équivalent d’une liaison physique avec « rien » ? C’est ce qu’une récente étude démontre théoriquement.
L’approche dans le cadre de l’étude est centrée sur les atomes de Rydberg. On appelle atome de Rydberg un état hautement excité d’un atome, possédant un ou plusieurs électrons et dont le nombre quantique principal n (numéro de la couche) est très élevé.
La particularité principale d’un tel atome réside dans sa grande taille, ce qui permet d’obtenir des grands moments dipolaires et donc des interactions inter-atomiques très fortes.
Les molécules crées avec au moins un atome de Rydberg, appelées molécules de Rydberg, possèdent une distribution des probabilités (de présence des électrons formant la liaison entre deux atomes) faisant penser à la forme d’un trilobite, un célèbre animal de l’ère paléozoïque.
Ce type de molécule est donc parfois aussi appelée molécule « trilobite ». Elle a été prédite en 2000 et observée expérimentalement en 2015 seulement. Ce type de molécule est produite lorsqu’un électron de Rydberg exerce une faible force d’attraction sur un atome à l’état fondamental (état non excité).
De nouvelles recherches suggèrent que l’orbite éloignée des électrons, qui est la clé de ces grandes molécules de trilobite, pourrait également permettre aux atomes d’hydrogène de Rydberg de « se lier » avec un point dans un espace vide. Ce lien avec le « néant » serait extrêmement bref, mais une telle observation pourrait permettre de développer une nouvelle méthode pour modifier de nombreuses réactions chimiques.
« Nous prévoyons que la liaison durerait plusieurs centaines de microsecondes, voire plus dans un environnement froid », a déclaré à New Scientist l’un des chercheurs, Matthew Eiles, de l’Université Purdue, en Indiana.
Eiles et son équipe décrivent les nouvelles liaisons comme des « liaisons fantômes » — l’électron seul excité est essentiellement amené à se retrouver dans la même position que si un second atome était présent.
Cela pourrait être produit en envoyant une séquence alternative d’impulsions électriques et magnétiques au niveau de l’atome, ce qui maintiendrait l’électron à une distance de quelques dizaines de nanomètres du noyau.
Pour l’instant, tout ceci n’est qu’une hypothèse : les chercheurs n’ont pas réellement réussi à créer des liaisons fantômes, mais ils ont établi les calculs et développé les modèles suggérant que cela pourrait être possible en laboratoire.
« Je pense que cela pourrait être possible », a déclaré Johannes Wilhelm Deiglmayr, de l’École polytechnique fédérale de Zurich. « Ce serait vraiment amusant à voir » ajoute-t-il.
Deiglmayr faisait partie de l’équipe ayant développé, en 2016, des atomes de Rydberg très allongés à partir de deux atomes de césium. Ce sont ce type d’atomes spéciaux, mesurant jusqu’à un micromètre (environ un millier de fois plus grands que la normale), qui pourraient rendre la « liaison fantôme » possible.
À l’avenir, les chercheurs pensent que des états fantômes « encore plus exotiques » pourraient être possibles grâce à la manipulation minutieuse des atomes de Rydberg. Cela pourrait même avoir une utilité dans le domaine de la mécanique quantique, pour la création de portes quantiques par exemple (un circuit quantique élémentaire).
Pour les chercheurs qui se pencheront dans le futur sur l’aspect pratique de cette étude, l’étape suivante consistera à déterminer comment parvenir à une telle liaison dans le cadre d’une véritable expérience en laboratoire. « En tant que simples théoriciens, nous laisserons ce défi aux experts, aux expérimentateurs », a déclaré Eiles.
La recherche a été publiée dans le Physical Review Letters.