Bien que faisant partie intégrante du modèle cosmologique standard, la matière noire demeure hypothétique et continue d’échapper aux instruments des scientifiques. Malgré des indices observationnels tendant à conforter indirectement sa présence, aucun consensus n’existe sur sa nature et plusieurs candidats ont été proposés au cours de ces dernières années, notamment les trous noirs primordiaux. Cependant, une nouvelle étude révèle que ces derniers ne sont tout simplement pas suffisamment abondants dans l’Univers observable pour constituer la totalité de la matière noire.
Introduite dès 1933 par l’astronome suisse Fritz Zwicky, puis étendue et approfondie par l’astrophysicienne américaine Vera Rubin, la matière noire est une hypothèse majeure du modèle standard de la cosmologie (le modèle Λ-CDM), constituant une toile cosmique entre les galaxies et permettant d’expliquer la formation des grandes structures cosmiques. Malgré ce rôle crucial qui lui est imputé, elle n’a toujours pas été détectée.
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Au fil du temps, la liste des candidats potentiels à la matière noire s’est allongée et comprends aujourd’hui diverses propositions parmi lesquelles les WIMPs (particules lourdes n’interagissant que très peu avec la matière), le neutrino stérile, les naines brunes ou encore les trous noirs. Ainsi, les naines blanches, les naines brunes et les trous noirs forment une famille de candidats appelée MACHO (Massive Compact Halo Objects).
Trous noirs primordiaux, supernovas et ondes gravitationnelles
Dans cette nouvelle étude, les deux cosmologistes de l’université de Berkeley se sont plus particulièrement intéressés aux trous noirs primordiaux. Ils ont effectué une analyse statistique rigoureuse des supernovas de type Ia (supernovas thermonucléaires) les plus lumineuses découvertes au cours des quatre dernières années, recherchant des phénomènes de distorsion gravitationnelle (lentilles gravitationnelles) caractéristiques.
En effet, dans le cas de la présence d’une concentration de masse située entre la supernova et les télescopes, la lumière émise par le phénomène devrait être courbée ou amplifiée par l’effet de lentille gravitationnelle. Ce type d’effet est utilisé depuis des dizaines d’années pour observer des objets distants qui seraient au demeurant inobservables sans l’effet de zoom apporté par les différents types de lentilles gravitationnelles.
Les auteurs ont cherché des traces de trous noirs primordiaux dont la masse serait supérieure à 0.01 masse solaire. Contrairement aux noirs stellaires se formant classiquement par l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive en fin de vie, les trous noirs primordiaux sont des trous noirs hypothétiques qui se seraient formés dans les premiers instants de l’Univers à partir de l’effondrement gravitationnel d’une région de l’espace-temps, sous l’effet des fluctuations de densités primordiales à grande échelle.
En 2016, après la seconde détection d’ondes gravitationnelles par l’interféromètre LIGO, les cosmologistes ont réfléchi à la possibilité de trouver des signatures gravitationnelles de ces trous noirs primordiaux. Et certaines signatures semblaient effectivement correspondre aux propriétés attendues pour ces trous noirs. Les scientifiques ont donc suggéré qu’il était possible que ces objets se cachent derrière la véritable nature de la matière noire.
Une contribution trop faible pour expliquer l’ensemble de la matière noire
« C’était une intéressante coïncidence qui a enthousiasmé tout le monde » affirme Uroš Seljak, cosmologiste et auteur de l’étude. Néanmoins, il s’avère que c’était tout ce dont il s’agissait : une coïncidence. Les deux auteurs ont étudié les supernovas à partir de deux catalogues différents — 580 supernovas tirées du Supernova Cosmology Project’s Union 2.1 collection, et 740 du Joint Light-Curve Analysis. Les résultats ont été publiés dans la revue Physical Review Letters.
Sur tous ces objets, 8 auraient statistiquement dus être plus brillants qu’attendu si des trous noirs primordiaux de plus de 0.01 masses solaires constituaient la matière noire.
Toutefois, les données n’ont révélé aucune surbrillance. Cela signifie que si les trous noirs primordiaux existent vraiment, ils ne peuvent contribuer qu’à moins de 37% de la masse totale de matière noire prédite par le modèle cosmologique standard. Tandis qu’une autre étude des mêmes auteurs abaisse cette contribution potentielle sous la barre des 23%.
En effet, il n’est pas interdit que la matière noire soit en réalité composée de plusieurs éléments différents, mais les modèles seraient alors bien plus complexes.
« Je peux imaginer que la matière noire puisse être composée de deux types de trous noirs, l’un très léger et l’autre très massif. Mais dans ce cas, l’une des composantes doit être de plusieurs ordres de grandeurs plus massive que l’autre, et les deux doivent être produites en quantités égales » explique Miguel Zumalacárregui, cosmologiste et auteur principal de l’étude.