Selon un nombre limité mais croissant d’études, les insectes sont en crise : en effet, ces dernières démontrent un déclin spectaculaire des populations d’invertébrées à travers le monde. Un nouveau rapport suggère que ce problème est bien plus répandu que ce que pensaient les scientifiques auparavant.
Effectivement, une récente étude a révélé que de très nombreux insectes ont été définitivement perdus dans une forêt nationale de Porto Rico et que des animaux insectivores de la forêt ont également totalement disparu.
En 2014, une équipe internationale de biologistes a estimé qu’au cours des 35 dernières années, l’abondance d’invertébrés tels que les coléoptères et les abeilles avait diminué de 45%. Dans les endroits où les données à long terme concernant les insectes sont disponibles, soit principalement en Europe, le nombre d’insectes est en chute libre. Par exemple, une étude réalisée l’année dernière a démontré une diminution de 76% des insectes volants au cours des dernières décennies dans les réserves naturelles allemandes.
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Le dernier rapport, publié lundi dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), explique que cette perte surprenante d’abondance d’insectes s’étend jusqu’aux Amériques. Les auteurs de l’étude impliquent le changement climatique dans la perte d’invertébrés tropicaux.
« Cette étude dans PNAS tire une véritable sonnette d’alarme, (…) quant au fait que le phénomène pourrait être beaucoup plus important, et englober de nombreux autres écosystèmes. C’est l’un des articles les plus troublants que je n’ai jamais lu », a déclaré David Wagner, expert en conservation des invertébrés à l’université du Connecticut. Ce dernier n’était pas impliqué dans la recherche.
Biologiste à l’Institut polytechnique Rensselaer de New York, Bradford Lister étudie les insectes de la forêt tropicale de Porto Rico depuis les années 1970. La forêt, nommée El Yunque, est très bien protégée : le roi espagnol Alphonse XII a revendiqué la jungle comme une réserve royale du XIXe siècle. Des décennies plus tard, Theodore Roosevelt en a fait une réserve nationale et El Yunque reste la seule forêt tropicale humide du système forestier national. « Nous nous sommes rendus dans la forêt en ’76, ’77, expressément pour quantifier les ressources : les insectes et les insectivores dans la forêt tropicale, les oiseaux, les grenouilles, les lézards, (…) », a déclaré Lister.
Le biologiste est revenu, près de 40 ans plus tard, avec son collègue Andrés García, écologiste à l’Université nationale autonome du Mexique. Ce que les scientifiques n’ont pas vu à leur retour, les a troublés : « C’était tout de suite évident quand nous sommes allés dans cette forêt… Moins d’oiseaux se trouvaient au-dessus de nos têtes. Les papillons, jadis abondants, avaient pratiquement disparus », a déclaré Lister. García et Lister ont une nouvelle fois analysé le nombre d’insectes et autres invertébrés de la forêt, un groupe appelé arthropodes, comprenant des araignées et des centipèdes.
Puis, les chercheurs ont piégé des arthropodes sur le sol dans des plaques recouvertes d’une substance collante, et ont soulevé plusieurs autres plaques d’environ 90 centimètres dans la canopée. Les chercheurs ont également analysé plusieurs centaines de fois les broussailles, ramassant ce qui y rampait.
Chaque technique utilisée par les chercheurs a révélé que la biomasse avait considérablement diminué depuis 1976. Entre janvier 1977 et janvier 2013, le taux de capture dans les casiers collants a été divisé par 60. « Tout est en train de sombrer », a déclaré Lister. Les invertébrés les plus communs dans la forêt tropicale humide, soit les papillons de nuit, les papillons, les sauterelles, les araignées et autres insectes, sont tous beaucoup moins abondants. « Puta*n de mer*e », a exprimé Wagner, à propos de la perte.
Timothy Schowalter, entomologiste de l’Université d’État de la Louisiane, étudie cette forêt depuis les années 1990. Il n’est pas l’auteur du récent rapport, mais la nouvelle recherche est cohérente avec ses données, ainsi que les études européennes sur la biomasse. « Il faut des sites de ce type sur le long terme, avec des échantillonnages cohérents sur de longues périodes de temps, pour documenter ces tendances. Je trouve leurs données assez convaincantes », a-t-il déclaré.
Les chercheurs et auteurs de l’étude, ont également piégé des lézards anolis, qui se nourrissant d’arthropodes, dans la forêt tropicale. Ils ont comparé ces chiffres avec ceux des années 1970 : la biomasse anolis a chuté de plus de 30%. Certaines espèces anolis ont complètement disparu de la forêt intérieure. Les populations de grenouilles et d’oiseaux insectivores ont également chuté.
Une autre équipe de recherche a utilisé des filets japonais pour capturer les oiseaux en 1990, puis en 2005. Là aussi, la population de ces oiseaux a chuté d’environ 50%. Garcia et Lister ont analysé ces données et ont constaté que le nombre de todiers de Porto Rico (un oiseau vert brillant), avait diminué de 90%.
Il s’agit de tout le réseau alimentaire qui diminue, et qui provoque par conséquent le déclin de ces nombreuses espèces. « Tous ces taxons différents montrent les mêmes tendances — les oiseaux insectivores, les grenouilles et les lézards — mais vous ne les retrouvez pas chez les oiseaux qui ne se nourrissent que de graines (garnivores) », expliquent les chercheurs.
Lister et Garcia attribuent cela au changement climatique : il faut savoir que la température moyenne dans la forêt a augmenté de 2.2 degrés Celcius durant ces 40 dernières années. Les invertébrés qui y habitent sont adaptés à ces températures précises, et s’en sortent très mal lorsque ces dernières changent de manière si drastique. En effet, les insectes ne peuvent pas réguler leur chaleur interne. Une analyse récente du changement climatique et des insectes, publiée en août dans la revue Science, prédit une diminution des populations d’insectes tropicaux selon l’auteur de cette étude, Scott Merrill, qui étudie les ravageurs des cultures à l’Université du Vermont.
Dans des régions tempérées plus éloignées de l’équateur, où les insectes peuvent survivre dans une plage de températures plus étendue, les ravageurs agricoles dévoreront plus de nourriture à mesure que leur métabolisme augmente, ont averti Merrill et ses co-auteurs. Mais passé un certain seuil thermique, ces insectes ne pondront plus, et leur chimie interne se décomposera, tout simplement.
Les auteurs d’une étude menée en 2017 sur des insectes volants disparus en Allemagne, ont suggéré d’autres causes possibles, notamment les pesticides et la perte d’habitat. En effet, les arthropodes du monde entier doivent lutter contre les agents pathogènes et les espèces envahissantes. Selon ces derniers, le danger pour ces arthropodes n’était pas la température qui augmente, mais la sécheresse et le manque de précipitations. Lister a également souligné que, depuis 1969, l’utilisation de pesticides a diminué de plus de 80% à Porto Rico.
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Les auteurs de l’étude ont utilisé une méthode analytique récente, inventée par un professeur d’économie de l’Université Fordham, pour évaluer le rôle de la chaleur dans ce déclin. De plus, les auteurs ont analysé les effets des conditions météorologiques, tels que les ouragans, et ont encore constaté une tendance constante qui, selon Schowalter, plaide de manière convaincante en faveur de la problématique climatique : « Je pense que leurs résultats et leurs mises en garde sont minimisés. La gravité de leurs découvertes et de leurs ramifications pour les autres animaux, en particulier les vertébrés, est hyper-alarmante », a déclaré Wagner.
Cependant, Wagner n’est pas convaincu que le changement climatique soit le moteur mondial en ce qui concerne la perte d’insectes. « Le déclin des insectes en Europe du Nord précède celui du changement climatique dans ce pays. De même, en Nouvelle-Angleterre, des déclins tangibles ont commencé dans les années 1950 », a-t-il déclaré.
Dans tous les cas, peu importe la cause, tous les scientifiques ont convenu que davantage de personnes devraient prêter attention au déclin des insectes à travers le monde entier. « C’est quelque chose de très effrayant », a déclaré Merrill, en ajoutant que « nous pouvons tous aller de l’avant, en utilisant des voitures moins énergivores et en éteignant les appareils électroniques non utilisés, pour commencer ».
Xerces Society, basée à Portland, un groupe environnemental à but non lucratif qui promeut la conservation des insectes, recommande de planter un jardin avec des plantes indigènes qui fleurissent tout au long de l’année. « Malheureusement, nous avons la sourde oreille à Washington. Mais ces oreilles devront bien finir par écouter à un moment donné, car nos disponibilités alimentaires seront menacées », a déclaré Schowalter. En effet, 35% des cultures de plantes dans le monde nécessitent la pollinisation par les abeilles et autres animaux.
La perte d’insectes et d’arthropodes pourrait totalement anéantir le réseau alimentaire de la forêt, a averti Lister, entraînant de ce fait la disparition d’espèces végétales sans pollinisateurs. « Si les forêts tropicales disparaissent, ce sera un nouvel échec catastrophique au niveau du système terrestre. Des effets qui se répercuteraient sur les êtres humains de manière presque inimaginable », a-t-il déclaré.