Si un cerveau malade ou blessé a perdu des neurones, pourquoi ne pas demander à d’autres cellules de prendre le relais ? Plusieurs équipes de recherche ont fait un premier pas en avant dans ce sens en reprogrammant des cellules non neuronales appelées astrocytes dans des neurones du cerveau de souris vivantes. « Tout le monde est étonné du fait que cela fonctionne », a déclaré Nicola Mattugini, neurobiologiste à l’Université Ludwig Maximilian de Munich, en Allemagne, qui a présenté les résultats d’une expérience de ce type lors de la réunion annuelle de la Society for Neuroscience, la semaine dernière.
Les laboratoires se posent alors les questions suivantes : ces neurones fonctionnent-ils comme ceux qui ont été perdus ? La création de neurones, aux dépens des astrocytes, est-elle réellement bénéfique pour un cerveau endommagé ? À l’heure actuelle, de nombreux chercheurs restent sceptiques quant à ces deux points.
Mais l’équipe de Mattugini, dirigée par la neuroscientifique Magdalena Götz, ainsi que deux autres groupes, ont présenté lors de la réunion, des preuves que les astrocytes reprogrammés imitent, du moins en certains points, les neurones qu’ils sont censés remplacer. Les deux autres groupes ont également partagé des preuves selon lesquelles les astrocytes reprogrammés aident les souris à récupérer les mouvements perdus après un accident vasculaire cérébral.
Certains voient dans cette approche une alternative potentielle à la transplantation de cellules souches (ou de neurones dérivés de cellules souches) dans le cerveau (ou la moelle épinière) endommagé.
Des essais cliniques sont déjà en cours, notamment quant à la maladie de Parkinson et les lésions de la moelle épinière. Cependant, Gong Chen, neuroscientifique à la Pennsylvania State University à State College, dit qu’il a été déçu par l’idée, après avoir découvert dans ses expériences (menées sur des rongeurs) que des cellules transplantées produisaient relativement peu de neurones et que ceux-ci n’étaient pas totalement fonctionnels. Cependant, « la récente découverte selon laquelle les cellules matures peuvent être reprogrammées vers de nouveaux rôles, laisse présager une meilleure approche », explique-t-il.
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Il faut savoir que les astrocytes nourrissent et communiquent avec les neurones, et aident à contrôler le flux sanguin. Après une blessure, des sous-ensembles d’astrocytes prolifèrent, favorisent l’inflammation et contribuant à la formation d’une cicatrice.
De nombreux scientifiques pensent que les effets des astrocytes sur la récupération des tissus sont contradictoires : certains aspects seraient utiles et d’autres néfastes. « Je ne peux pas imaginer qu’une autre technologie soit plus efficace que d’utiliser la cellule gliale voisine pour réparer le cerveau », explique Chen.
Son groupe de recherche a enrôlé un virus inoffensif qui, injecté dans le cerveau, infecte les astrocytes et introduit l’ADN codant pour NeuroD1, un facteur de transcription qui active les gènes typiquement exprimés dans les neurones. La reprogrammation incite apparemment les autres astrocytes à se multiplier, ce qui pourrait empêcher le traitement d’épuiser « les stocks » d’astrocytes du cerveau.
L’approche, en cours de développement dans plusieurs laboratoires travaillant avec divers facteurs de transcription, est « extrêmement provocante », dit Timothy Murphy, neuroscientifique à l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver (Canada), qui étudie comment les circuits du cerveau changent après un AVC. Mais « ces cellules doivent survivre et se reconnecter », ajoute-t-il.
À l’heure actuelle, aucun groupe n’a encore démontré que les cellules reprogrammées se connectent à des circuits pour exécuter les fonctions des neurones perdus. Mais plusieurs équipes de recherche possèdent des preuves que les cellules prennent des caractéristiques neurales clés.
En effet, dans les semaines qui ont suivi l’induction d’un accident cérébrovasculaire dans le cerveau d’une souris, l’équipe de Chen a vu des astrocytes reprogrammées rétracter certaines de leurs vrilles en forme d’étoile, et commencer à produire des protéines neurales caractéristiques. Les astrocytes reprogrammées semblent également émettre des signaux électriques et étendre de nouvelles fibres à travers le cerveau, ainsi que dans la moelle épinière.
L’équipe de Götz a, quant à elle, documenté le fait que les neurones récemment reprogrammés autour du site d’une blessure par une arme blanche, ressemblent à des neurones pyramidaux, qui envoient des signaux excitateurs. Ce groupe de recherche, comme d’autres, explique maintenant comment différentes combinaisons de facteurs de transcription incitent les astrocytes à devenir différents types de neurones.
À savoir que les chercheurs ont également découvert que les neurones récemment reprogrammés expriment différents marqueurs et envoient différentes projections, en fonction de la couche du cortex dans laquelle ils se situent, tout comme le feraient des neurones dits natifs de la zone.
C’est « très surprenant », déclare Chun-Li Zhang, neuroscientifique au Southwestern Medical Center de l’Université du Texas, à Dallas (USA). Ce dernier explore un processus de reprogrammation différent, qui transforme les astrocytes en cellules progénitrices neurales primitives, qui deviennent ensuite des neurones plus progressivement.
Selon Zhang, dans tous les cas, ces deux approches devront surmonter le scepticisme du public et de la communauté scientifique. En effet, de nombreux chercheurs ne s’attendent pas à ce que les nouveaux venus neuraux, introduits brusquement dans le cerveau adulte, mûrissent et fonctionnent normalement.
« Pour vraiment convaincre les gens, nous devons faire très attention », a ajouté Zhang au sujet de la documentation des étapes de la transformation de ces cellules, et pour prouver qu’elles débutent sous la forme d’astrocytes pour finalement devenir des neurones mûrs.
Les chercheurs ont également commencé à rechercher des indications selon lesquelles cette approche aiderait les animaux à guérir. Dans une étude publiée en avril, le groupe de Chen a rapporté que les cellules reprogrammées amélioraient la capacité de la souris à marcher et à utiliser ses membres antérieurs après un accident vasculaire cérébral.
Chen a également laissé entendre que la même approche avait restauré le tissu neural dans le cerveau des singes blessés lors d’un accident vasculaire cérébral. « Des expériences visant à évaluer leur taux de récupération sont en cours dans les installations d’un collaborateur en Chine », a-t-il déclaré. Chen a fondé une société pour développer des thérapies basées la reprogrammation des astrocytes. « Je crois que c’est l’avenir. C’est la prochaine étape en matière de médecine régénérative », a-t-il déclaré à l’auditoire lors de la conférence.
À présent, l’équipe de recherche de Cindi Morshead, biologiste des cellules souches à l’Université de Toronto au Canada, souhaite continuer à expérimenter la technique : elle et son équipe prévoient d’attendre plus longtemps après un accident vasculaire cérébral, avant d’injecter les cellules aux souris. En effet, une fois que l’invalidité est devenue chronique chez les humains « il n’y a rien à faire », explique-t-elle. Si des souris ayant une invalidité depuis longtemps peuvent arriver à tirer parti de ces nouveaux neurones, alors « ce serait la solution la plus intéressante », ajoute-t-elle.
Ces cellules reprogrammées pourraient bien changer la médecine réparatrice telle que nous la connaissons aujourd’hui. Bien entendu, des études supplémentaires devront être menées, mais les chercheurs sont sur la bonne voie. Une affaire importante, et donc à suivre !