Depuis le premier vol il y a plus de 100 ans, les avions sont propulsés par des surfaces mobiles telles que des hélices ou des turbines. La plupart sont alimentés par des combustibles fossiles. L’électroaérodynamique (EAD), dans laquelle des forces électriques accélèrent les ions dans un fluide, a été proposée comme méthode alternative de propulsion des avions. Cependant, aucun avion doté d’un tel système de propulsion solide n’avait encore volé. C’est aujourd’hui chose faite grâce à une équipe d’ingénieurs du MIT, qui a réussi à faire voler le premier prototype d’avion à propulsion EAD.
Au lieu de reposer sur une hélice ou un moteur à réaction, l’avion, de la taille d’un kayak pour une personne, se propulse dans les airs en utilisant l’électroérodynamique (EAD). Cette forme de propulsion utilise des effets électriques pour éjecter l’air en arrière, donnant à l’avion une poussée de force égale.
Les ingénieurs aéronautiques ont longtemps pensé que les avions pourraient être alimentés par EAD, explique Steven Barrett, ingénieur en aéronautique au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Mais personne n’avait jamais construit un avion EAD capable de soulever son propre poids. Quand Barrett et ses collègues ont finalement réussi, ils ont été stupéfaits. « Cela avait pris environ 7 ans de travail juste pour le faire décoller ». Les résultats de l’expérience ont été publiés dans la revue Nature.
Un avion à propulsion électroaérodynamique
Dans un système de propulsion EAD, un champ électrique puissant génère un vent de particules chargées (ions) à haute vitesse, qui percutent les molécules d’air neutres et les poussent derrière l’avion, donnant à ce dernier une certaine poussée. Ceci est obtenu grâce à un phénomène appelé décharge coronale, dans lequel les ions entourant une électrode produisent un effet de cascade, tandis que des flux d’électrons arrachent d’autres électrons aux molécules environnantes dans l’atmosphère.
La dérive des molécules d’air ionisé entourant cette cascade d’électrons peut donc théoriquement créer une poussée. Dans la physique newtonienne classique, un tel « vent ionique » aurait à peu près le même effet que l’air ramené par une hélice en mouvement, ou les gaz chauffés s’échappant d’un moteur à turbine.
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La technologie — également appelée entraînement ionique, éolienne ionique ou propulsion ionique — a déjà été mise au point par la NASA pour être utilisée dans l’espace extra-atmosphérique et est maintenant déployée sur certains satellites et engins spatiaux. Parce que l’espace est relativement vide, ces systèmes embarquent un fluide, comme le xénon, afin de le ioniser ; tandis que le système de Barrett est fait pour ioniser les molécules d’azote présentes dans l’atmosphère.
Il est cependant beaucoup plus facile de déployer une propulsion ionique dans l’espace que dans l’atmosphère. La gravité guide un satellite autour de la planète, avec un propulseur ionique appliquant de petites corrections de trajectoire. En revanche, un avion doit produire suffisamment de poussée pour se maintenir en altitude et surmonter la résistance constante de l’air.
Cette vidéo présente les travaux des ingénieurs du MIT concernant l’avion à propulsion EAD :
Des caractéristiques techniques optimales
Après avoir effectué plusieurs simulations informatiques, l’équipe de Barrett a opté pour un avion ayant une envergure de 5 mètres et une masse de 2.45 kg, soit environ le poids d’un poulet. Pour générer le champ électrique nécessaire, des jeux d’électrodes ressemblant à des stores vénitiens passent sous les ailes de l’avion, chacun étant constitué d’un fil d’acier inoxydable chargé positivement, à quelques centimètres d’une section en mousse fortement chargée négativement et recouverte d’aluminium.
L’avion emporte également un ensemble de batteries et de piles personnalisées, ainsi qu’un convertisseur permettant de faire passer la tension des piles d’environ 200 volts à 40 kilovolts. Bien que les électrodes très chargées soient exposées sur les cadres de l’avion, elles peuvent être activées et désactivées par télécommande afin d’éviter les risques menaçant la sécurité et la stabilité de la structure.
L’équipe a testé l’avion dans un gymnase du MIT. « Il y a eu de jolis accidents épiques » déclare Barrett. Finalement, l’équipe a mis au point un appareil semblable à une fronde pour aider au lancement de l’avion. Après des centaines de tentatives infructueuses, l’avion a finalement été capable de se propulser suffisamment pour rester en suspension dans l’air.
Décollage et vol réussis pour le tout premier avion à propulsion EAD
Après 10 vols d’essai, l’avion a parcouru une distance maximale de 60 mètres, soit un peu plus élevée que lors du premier vol des frères Wright, en environ 10 secondes, avec une altitude moyenne d’un demi-mètre. « C’est une excellente première étape » affirme Daniel Drew, ingénieur électricien à l’Université de Californie, qui travaille sur les micrororobots EAD.
Bien qu’un tel avion ne puisse porter de lourdes charges, le fait qu’il ait été propulsé dans les airs par un vent provenant de ses propres forces électrostatiques à une vitesse d’environ 4.8 m/s, fait de son développement un progrès monumental. Mieux encore, les résultats indiquent que les performances augmenteraient uniquement avec la vitesse. En accélérant, il consomme relativement moins d’énergie. À une vitesse d’environ 300 m/s, l’avion pourrait gagner jusqu’à 50% d’efficacité.
Cependant, selon Drew, une taille d’avion plus importante poserait bien plus de problèmes. Le problème fondamental est une question d’échelle, explique Drew. À mesure que la taille de l’avion augmente, son poids augmentera plus rapidement que la surface de ses ailes. Donc, pour rester en hauteur, un avion plus gros doit produire beaucoup plus de poussée par unité de surface d’aile, ce qui « serait extrêmement difficile à réaliser du point de vue de la physique ».
Barrett n’exclut pas la possibilité de transporter un jour des êtres humains. « Nous sommes encore loin de toute évidence, et nous devons améliorer beaucoup d’éléments pour y arriver » indique-t-il, « mais je ne pense pas que cela soit fondamentalement impossible ».
Améliorer la poussée en rendant le convertisseur de puissance et les batteries plus efficaces, tester différentes stratégies de création d’ions ou intégrer les propulseurs dans le châssis de l’avion pour réduire la traînée, seraient de bonnes pistes selon lui.
Franck Plouraboué, chercheur en mécanique des fluides au CNRS, indique que l’un des moyens efficaces de propulser les avions EAD pourrait consister à utiliser des panneaux solaires ultralégers fixés au sommet de l’avion.
Drew pense qu’il est plus probable de voir apparaître un jour des essaims d’appareils EAD plus petits. Dans ce contexte, Barrett pense que le principal avantage des avions EAD sera l’absence de bruit. « Si nous voulons utiliser des drones partout dans nos villes pour acheminer des objets et surveiller la qualité de l’air, toutes ces pollutions sonores et bourdonnantes pourraient devenir assez dérangeantes ».