Situé dans le haut de l’Himalaya, le Sikkim est l’un des plus petits États de l’Inde, bordé par le Bhoutan, le Tibet et le Népal. Cet État est sur le point de se lancer dans une expérience d’intérêt mondial. En effet, le parti au pouvoir du Sikkim a annoncé un plan ambitieux, visant à mettre en place un revenu de base (ou revenu universel) pour chacun de ses 610’577 citoyens.
En cas de succès, le programme représenterait le plus grand essai au monde d’un concept qui pourrait offrir un véritable seuil de sécurité selon les partisans, contribuer à réduire la pauvreté et à relever le défi de l’automatisation des tâches. Mais, les détracteurs, quant à eux, avancent que cela réduirait l’incitation au travail et entraînerait des dépenses conséquentes.
À savoir qu’un revenu de base est un revenu régulier garanti à tous les citoyens, payé universellement et inconditionnellement par le gouvernement. Il s’agit d’un paiement en espèces qui vise à remplacer la gamme d’assistance, souvent confuse, et offerte par les États aux citoyens, ainsi qu’à confier les décisions de dépense aux destinataires. « S’il y a une chance que cela se produise quelque part, c’est à Sikkim », a déclaré P.D. Rai, l’unique membre du Parlement indien de l’État.
Par le passé, le Sikkim a déjà fait ses preuves : en 1998, il a été l’un des premiers États indiens à interdire les sacs en plastique, une interdiction appliquée avec succès, contrairement à de nombreux autres États. L’État a également fourni un logement à tous ses citoyens. Plus récemment, il est devenu le premier État biologique du pays, éliminant l’utilisation des pesticides et des engrais.
Ses indices sociaux se distinguent également du reste du pays, avec un taux d’alphabétisation de 98%. Le Sikkim a également réussi à réduire le pourcentage de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté à environ 8% (contre près de 30% au niveau national). La petite région géographique du Sikkim et sa faible densité de population ont été en partie responsables de ces succès.
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Bien entendu, Rai a reconnu qu’il y aura des défis à relever : « En fin de compte, ce n’est qu’une question de volonté politique », a-t-il déclaré. « Avec la montée des inégalités mondiales, nous voulons nous assurer de réduire cet écart », a-t-il ajouté. Rai a cependant refusé de révéler combien le programme, annoncé avant les prochaines élections du printemps, coûterait potentiellement à l’État.
Il est prévu que les secteurs du tourisme et de l’énergie seront mis à profit pour mobiliser des ressources. À savoir que le tourisme est une source majeure de revenu dans cette zone, avec plus de 2.5 millions de visiteurs par an. De plus, en tant qu’État producteur d’énergie excédentaire, le Sikkim vent près de 90% de son énergie hydroélectrique.
Pour le moment, le gouvernement tient des réunions avec des experts et des parties prenantes et prévoit de déployer ce programme d’ici 2022, a précisé Rai.
La sécurité sociale est importante pour l’Inde. En effet, le gouvernement central dépense à lui seul 5% de son PIB dans 950 programmes de sécurité sociale. Ces programmes vont de la distribution de riz gratuit, à l’allocation pour la construction de maisons, voire à la garantie d’un emploi pour certains habitants de zones rurales.
Cependant, une mise en œuvre inefficace et le détournement de fonds en raison de la corruption, ont longtemps affecté le système, poussant de nombreuses personnes à proposer un revenu de base comme potentielle solution.
L’étude économique de l’Inde pour 2017 a souligné que ce concept était une « idée puissante » qui devrait être débattue. Ailleurs dans le monde, plusieurs expériences à petite échelle de ce type ont été menées pour mettre en place un revenu universel, mais jusqu’à présent, leur succès a été limité.
En avril 2017, le gouvernement de l’Ontario, au Canada, a annoncé un projet pilote impliquant 4000 personnes, et qui aurait coûté 150 millions de dollars canadiens (soit 113 millions de dollars américains, ou 100 millions d’euros). Le projet a pris fin abruptement après un an, lorsque le gouvernement local a changé, et que la nouvelle administration a qualifié le programme comme trop coûteux et insoutenable.
En Finlande, une expérience de revenu de base a pris fin en décembre 2018 après deux ans d’essais, et le pays ne prévoit pas actuellement de poursuivre le programme. L’essai comprenait un paiement mensuel de 630 dollars US à 2000 citoyens au chômage. Aux États-Unis, le concept a été lancé à Stockton, en Californie, par son jeune maire. L’année dernière, il a annoncé que 100 résidents recevraient 500 USD par mois, et ce pendant 18 mois.
Dans la Silicon Valley, la notion de revenu de base est fortement soutenue par des personnalités telles que Mark Zuckerberg et Elon Musk. Lors de son allocution d’ouverture à Harvard en 2017, Zuckerberg a parlé de la nécessité d’un « nouveau contrat social », avec des idées comme un revenu de base qui pourrait aider tous les individus le recevant. Musk l’a décrit comme une étape « nécessaire », notamment car l’automatisation reprend de plus en plus les tâches humaines.
Cependant, certains économistes ont signalé diverses embûches possibles quant à ce type de programme. En effet, ils se demandent si le fait de donner de l’argent, au lieu d’une subvention alimentaire par exemple, conduirait à des dépenses dites inutiles. De plus, comme les prix ne cessent d’augmenter, une distribution fixe en espèce permettra à terme d’acheter de moins en moins de biens. D’autres encore pensent qu’un revenu de base découragerait le travail et ne ferait que diminuer la main d’œuvre humaine.
Pourtant, il existe également de nombreux économistes qui soutiennent ce type de projets. C’est notamment le cas de Pranab Bardhan, économiste à l’Université de Californie à Berkeley, qui a fortement salué l’initiative du Sikkim, expliquant que la raison d’être d’un revenu de base dans un pays comme le Sikkim, est très différente qu’elle le serait à un endroit comme Stockton (en Californie), par exemple.
« Dans les pays développés, l’objectif principal est de restructurer ou d’économiser les régimes d’aide sociale existants. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, comme l’Inde, la raison sera différente, il s’agira de s’attaquer à l’insécurité économique d’une plus grande partie de la population, et non seulement des plus pauvres, tout cela sans toucher aux mesures anti-pauvreté existantes », a déclaré Bardhan. Une affaire importante, à suivre de près.