Depuis presque un millénaire, la cathédrale Notre-Dame de Paris occupe fièrement le centre de l’île de la Cité, symbole de l’histoire et de la culture de la capitale française, et aussi le monument le plus visité de la ville. Malheureusement, le lundi 15 avril 2019 — bien que cet événement ne soit plus à présenter, des milliers de personnes sur les rives de la Seine et des millions d’autres à travers le monde ont observé avec un mélange d’incrédulité, de chagrin et d’impuissance, le chef-d’œuvre gothique brûler sous leurs yeux.
Les poutres de bois séculaires du toit de Notre Dame, l’extérieur en pierre et l’architecture gothique en hauteur ont rendu l’incendie de lundi particulièrement difficile à combattre. Selon les experts, les pompiers de Paris méritent des éloges pour leurs efforts.
La flèche et la majeure partie du toit de la cathédrale centenaire ont été détruites, mais les deux clochers et l’édifice principal ont été sauvés. La vidéo diffusée par le ministère de l’Intérieur français a montré l’ampleur de la réponse. Les autorités ont déployé quelque 400 pompiers, pompé l’eau de la Seine et piloté des drones pour évaluer les dégâts.
Le plus gros problème, disent les experts, était l’accès aux poutres du plafond en bois qui formaient la charpente de la toiture. Les pompiers auraient été désavantagés avant même de sortir de la caserne, en raison de la nature et de la localisation de l’incendie.
Les cathédrales comme Notre-Dame se caractérisent par une construction en bois massif avec de grands espaces ouverts et très peu de coupe-feu pour sceller les ouvertures du bâtiment.
En l’absence de systèmes anti-incendie passifs, le feu est susceptible de se propager sans interruption à travers le bâtiment, avec la structure en bois comme combustible. Et dans des cas comme celui-ci, où le feu débute en haut, les pompiers se retrouvent à ne pouvoir sauver, au mieux, que les murs et les zones secondaires touchées. Cependant, dans ce cas, l’inaccessibilité du toit a conduit à l’abandon de la structure haute, avec une perte de 66% du toit.
Une fois que les poutres commencent à brûler, il est plus difficile pour les pompiers qui se trouvent à l’extérieur du bâtiment de se rendre à la source des flammes. La pierre emprisonne la chaleur et la fumée, ce qui les empêche de travailler à l’intérieur.
La hauteur de Notre Dame représentait également un défi, fournissant de l’oxygène supplémentaire pour que le feu puisse s’étendre et compliquant les efforts pour atteindre les flammes.
« La charge de combustible est très élevée dans les airs et les pompiers ne peuvent pas l’atteindre rapidement », a déclaré Glenn Corbett, professeur agrégé en sciences du feu au John Jay College of Criminal Justice de New York.
Des options aériennes comme celle suggérée par le président américain Donald Trump étaient également considérées comme irréalistes. « Peut-être que des citernes d’eau volantes pourraient être utilisées pour l’éteindre. Il faut agir vite ! » déclarait Trump dans un tweet.
Mais selon Corbett, aucun pilote d’avion ne pouvait larguer de l’eau « exactement à cet endroit en se déplaçant à plusieurs centaines de kilomètres à l’heure ».
Corbett a également exclu l’utilisation d’hélicoptères : « L’un des problèmes que vous avez ici, c’est que le courant ascendant thermique, comme une cheminée, ne permet pas de piloter un hélicoptère. L’air est trop peu dense ».
La Sécurité Civile française a déclaré dans une apparente référence à la suggestion de Trump, que tout déversement aérien d’eau pourrait affaiblir la structure de Notre-Dame et causer des dommages collatéraux aux bâtiments dans les environs.
Hundreds of firemen of the Paris Fire Brigade are doing everything they can to bring the terrible #NotreDame fire under control. All means are being used, except for water-bombing aircrafts which, if used, could lead to the collapse of the entire structure of the cathedral.
— Sécurité Civile (@SecCivileFrance) April 15, 2019
Malgré les importants défis, les 400 pompiers présents sur place ont réussi à sauver une partie importante de la cathédrale.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut également s’intéresser à la science qui sous-tend la façon dont les feux se développent et se propagent. Les quatre éléments d’un incendie sont l’oxygène, le combustible, la chaleur et une réaction chimique en chaîne. L’élimination de l’un de ces éléments, que ce soit par le refroidissement des matériaux, l’élimination du combustible ou de l’oxygène, ou l’interruption de la réaction chimique en chaîne, entraînera l’extinction de l’incendie. L’incendie de Notre-Dame n’a pas permis d’y parvenir.
Il était bien entendu impossible de retirer le combustible en raison de la quantité de matériaux inflammables présents à l’intérieur, en particulier le toit à charpente en bois. L’intensité de l’incendie était également suffisamment élevée pour rendre le contrôle de la chaleur et des réactions chimiques trop difficile. Comme le toit avait été détruit au début de l’incendie, il y avait aussi un flux incontrôlable d’oxygène alimentant le feu. Bien que cela aurait été le cas même si le toit avait été intact, en raison de la structure interne ouverte et aérée de la cathédrale.
Qu’en est-il de ce qui aurait provoqué l’incendie ?
Les travaux de restauration en cours à la cathédrale, en plus d’être liés à l’incendie selon les sources officielles, ont constitué un obstacle supplémentaire pour les pompiers. Il est probable que d’autres matériaux de construction non protégés étaient présents partout dans la cathédrale en raison des rénovations, y compris des matériaux jugés inflammables et/ou explosifs.
Le fameux « témoignage de l’ex-architecte de Notre-Dame »
Architecte en chef des Monuments historiques de 2000 à 2013, Benjamin Mouton a été en charge de la cathédrale Notre-Dame, pour laquelle il a notamment géré le vaste chantier de la détection incendie.
« En 40 ans d’expérience, je n’ai jamais connu un incendie de la sorte », affirme Benjamin Mouton, qui estime que la protection incendie de la cathédrale était alors « à son plus haut niveau ».
« Lorsque je me suis occupé de la détection incendie, un dispositif très onéreux, il fallait très peu de minutes pour qu’un agent aille faire la levée de doute. Nous avons d’ailleurs fait remplacer de nombreuses portes en bois par des portes coupe-feu, nous avons limité tous les appareils électriques, qui étaient interdits dans les combles », affirme-t-il auprès de Batiactu.
De tels propos ne peuvent donc que mettre une part de mystère sur ce qu’ont réellement été les causes et circonstances de l’incendie. Un autre expert du secteur de la construction fait également part de son incompréhension auprès de Batiactu : « L’incendie n’a pas pu partir d’un court circuit, d’un simple incident ponctuel. Il faut une vraie charge calorifique au départ pour lancer un tel sinistre. Le chêne est un bois particulièrement résistant ».
Tout est bien qui finit bien, ou presque…
Toujours selon les experts, le fait que les pompiers français aient réussi à contrôler la propagation de l’incendie comme ils l’ont fait et à sauver une grande partie du bâtiment, y compris les deux clochers, représente un effort et une réussite remarquables.
Par contre, pour ce qui en est de la remise sur pied de la structure, toujours selon Benjamin Mouton, « l’ensemble des charpentes effondrées, cela ne fera pas de bien aux voûtes, et cela crée un choc mécanique important », craint-il. Il a également abordé le sujet de l’état des pierres qui composent la voûte, maintenant « calcinées » par l’incendie, et qui constitueraient la partie la plus importante de la structure. « Les pierres vont se transformer en chaux, et les jets d’eau lancés par les pompiers créent un deuxième choc thermique. L’incendie est peut-être terminé mais rien n’est fini, tout commence » conclut-il.