À l’heure actuelle, les océans terrestres et leurs profondeurs sont moins bien connus que le Système solaire lui-même. Une grande partie de la faune et de la flore de ces environnements reste encore à découvrir, et certains phénomènes affectant la faune sous-marine sont encore mal compris par les scientifiques. C’est notamment le cas du gigantisme abyssal, selon lequel les crustacés, invertébrés et autres animaux des profondeurs possèdent une taille bien plus grande que ceux de la même espèce vivant en surface.
Dans les profondeurs océaniques, un curieux phénomène affecte les animaux : leur taille semble démesurée comparée à celle de leurs homologues de surface. Un phénomène biologique que les scientifiques commencent déjà à étudier dans les années 1880, notamment avec les travaux du naturaliste britannique Henry Nottidge Moseley concernant les Pycnogonida, une classe d’arthropodes regroupant les araignées de mer.
Par suite, le biologiste suisse Jean Louis Rodolphe Agassiz décrira la taille spectaculaire d’un isopode bien connue des biologistes marins : Bathynomus giganteus, un isopode géant et un exemple notable de gigantisme abyssal. Plus de 120 ans après les premiers rapports mettant en évidence le phénomène, ce dernier n’a toujours pas d’explication définitive. Cependant, les biologistes ont tout de même proposé certaines hypothèses.
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L’hypothèse majoritaire est une application de la règle écogéographique de Bergmann. Cette règle veut que qu’au sein d’un même clade, la masse des populations d’animaux endothermes est directement corrélée à la température de l’environnement. Ainsi, les animaux vivant dans un environnement froid posséderont une taille et une masse plus importantes que leurs homologues évoluant dans des environnements plus chauds.
Cette règle s’explique par le fait que les animaux possédant une grande taille disposent d’un rapport surface/volume du corps plus petit, et donc irradient moins de chaleur corporelle. La taille et la masse jouent ainsi un rôle important dans la thermorégulation. Les biologistes pensent ainsi que cette règle s’applique de la même manière aux crustacés et autres invertébrés marins. Une température plus basse entraîne des cellules plus grandes et une espérance de vie plus élevée selon les scientifiques.
Cette tendance d’augmentation des proportions corporelles en fonction de la profondeur a été observée chez des nombreux ordres : Amphipoda, Decapoda, Euphausiacea, Isopoda ou encore Mysida. Cependant, la température ne semble pas jouer un rôle pour toutes les espèces d’animaux vivant en profondeur. Par exemple, les vers tubicoles géants vivant près des cheminées hydrothermales, comme Riftia pachyptila, arborent une taille similaire à celle des vers tubicoles Lamellibrachia luymesi, vivant dans les zones froides des profondeurs.
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D’autres facteurs ont été proposés, en complément ou non de l’hypothèse du gradient de température. Ainsi, la raréfaction des ressources et des prédateurs, la faible densité des populations animales et un apport nutritionnel faible mais constant, ont été avancés. La pression hydrostatique élevée est également une hypothèse, mais tend à être mise à mal par des observations effectuées en Arctique et en Antarctique.
De nombreux exemples d’animaux mettant en évidence le phénomène de gigantisme abyssal existent. Alicella gigantea, un crustacé amphipode géant des profondeurs atteint en moyenne 34 cm, contre 3 cm maximum pour ses homologues de la surface. Bathynomus giganteus, ou Bathynome géant, est un isopode marin pouvant atteindre 50 cm et 1.7 kg, en faisant le plus grand des isopodes. Macrocheira kaempferi, ou crabe-araignée géant du Japon, peut atteindre 3.5 m d’envergure et 20 kg, c’est le plus grand des arthropodes vivant.
Dans les autres invertébrés, de très nombreuses espèces de calmar sont des exemples de gigantisme abyssal. Le calmar colossal, Mesonychoteuthis hamiltoni, peut atteindre 14 m et 500 kg ; les calmars géants (Architeuthis dux) peuvent atteindre 13 m et 275 kg.
Mais le titre du plus grand octopode vivant est détenu par Haliphron atlanticus, encore appelée pieuvre à sept bras, avec une taille maximale de 4 m et une masse de 75 kg. Quant aux vertébrés, le régalec (Regalecus glesne), avec une taille de 12 m, est le plus long poisson osseux connu.