C’est au fin fond d’une montagne en Italie, que des scientifiques préparent depuis un certain temps un véritable piège pour capturer de la matière noire. Mais alors, quel peut bien être leur appât ? Il s’agit d’un énorme réservoir en métal, rempli de 3200 kilogrammes de xénon liquide pur.
Il faut savoir que le xénon, un gaz rare, est l’une des substances les plus propres et les plus résistantes aux radiations sur Terre, ce qui en fait une cible idéale pour capturer certaines des interactions de particules les plus rares de l’Univers !
Jusqu’à présent, les chercheurs n’ont pas réussi à capturer de la matière noire, mais ils ont récemment réussi à détecter l’une des plus rares interactions de particules dans l’Univers. « Tout cela semble vaguement sinistre. C’est comme rendre visite à un méchant de James Bond », a déclaré Christian Wittweg, doctorant à l’Université de Münster en Allemagne (et qui travaille avec la Xenon Collaboration depuis plus d’une décennie), à propos du fait de se rendre dans la montagne pour effectuer des recherches.
Selon une nouvelle étude publiée le 24 avril 2019, l’équipe, composée de plus de 100 chercheurs, a mesuré pour la toute première fois la désintégration d’un atome de xénon-124 (124Xe) par le biais d’un processus extrêmement rare appelé capture du double électron à deux neutrinos. À savoir que ce type de désintégration radioactive se produit lorsque le noyau d’un atome absorbe simultanément deux électrons de sa coquille externe, libérant ainsi une double dose de particules appelées neutrinos. En effet, l’équipe de recherche composée de chercheurs internationaux a ainsi pu détecter la désintégration nucléaire la plus lente jamais mesurée, celle de l’atome xénon-124.
Entre autre, l’Université de Zürich a participé à ces travaux, qui ont été menés dans un laboratoire souterrain situé au coeur du massif italien du Grand Sasso, à une profondeur de 1500 mètres.
C’est en mesurant pour la toute première fois cette désintégration unique dans un laboratoire, que les chercheurs ont pu prouver avec précision à quel point cette réaction est rare et combien de temps il faut au xénon-124 pour se désintégrer.
La demi-vie (ou période radioactive) du xénon-124 (soit le temps moyen nécessaire pour qu’un groupe d’atomes de xénon-124 diminue de moitié), est d’environ 18 trilliards d’années (soit 18 x 1021 ou 18’000’000’000’000’000’000’000 années). Pour un atome seul, la demi-vie est une propriété probabiliste reflétant la durée à l’issue de laquelle le noyau atomique a une chance sur deux de s’être désintégré.
« En d’autres termes, si vous aviez 100 atomes de xénon-124 lorsque les dinosaures ont disparu de la surface de la Terre il y a 65 millions d’années, statistiquement, ils seraient tous encore au nombre de 100 aujourd’hui », a déclaré Wittweg. De ce fait, il s’agit de la plus longue demi-vie jamais mesurée directement en laboratoire.
Il existe actuellement un seul et unique processus de désintégration nucléaire connu dans l’Univers possédant une demi-vie plus longue : la désintégration du tellure-128. Le tellure-128 a une demi-vie plus de 100 fois plus longue que celle du xénon-124. Mais cet événement d’une rareté sans égal n’a été que calculé jusqu’à présent.
Et comme pour les formes les plus courantes de désintégration radioactive, la capture d’électrons doubles à deux neutrinos a lieu lorsqu’un atome perd de l’énergie (lorsque le rapport des protons et des neutrons dans le noyau de l’atome change). Cependant, ce processus est beaucoup plus sélectif que les modes de désintégration plus courants et « dépend d’une série de coïncidences importantes », a déclaré Wittweg. Selon lui, le fait de pouvoir travailler avec des tonnes d’atomes de xénon rendait beaucoup plus probable la présence de ces coïncidences.
Comment est-ce que cela fonctionne ? Il faut savoir que tous les atomes de xénon-124 sont entourés de 54 électrons tournant autour du noyau. La capture des doubles électrons à deux neutrinos se produit lorsque deux de ces électrons, dans des couches proches du noyau, migrent simultanément dans le noyau, se brisant dans un proton et convertissant ces protons en neutrons.
En tant que sous-produit de cette conversion, le noyau crache alors deux neutrinos (des particules subatomiques insaisissables, sans charge et pratiquement sans masse, qui n’interagissent presque jamais avec quoi que ce soit). Puis, ces neutrinos s’envolent littéralement dans l’espace et les scientifiques ne peuvent les mesurer que s’ils utilisent des équipements extrêmement sensibles.
Afin de prouver qu’un événement de capture de doubles électrons à deux neutrinos a bien eu lieu, les chercheurs se sont concentrés sur l’analyse des espaces vides laissés dans l’atome en décomposition. « Une fois les électrons capturés par le noyau, il reste deux lacunes dans l’enveloppe atomique. Ces postes vacants sont remplis à partir de coquilles plus hautes, ce qui crée une cascade d’électrons et de rayons X », a déclaré Wittweg. Ces rayons X déposent ensuite de l’énergie dans le détecteur, chose que les chercheurs peuvent clairement voir dans leurs données expérimentales.
Les scientifiques ont pu réaliser leurs travaux, notamment grâce au détecteur Xenon1T (le réservoir cylindrique d’une hauteur d’environ un mètre, rempli de xénon liquide, d’un poids de 3200 kg).
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C’est en l’espace de deux ans d’observations que l’équipe a finalement réussi à observer quelque 126 occurrences de désintégration d’atomes de xénon-124 en décomposition, fournissant ainsi la première preuve directe de ce processus. Cette nouvelle détection du deuxième processus de désintégration le plus rare de l’Univers connu, ne permet pas à l’équipe de se rapprocher de la détection de la matière noire, mais elle permet de prouver que le processus est polyvalent et précis.
À présent, les chercheurs souhaitent construire un réservoir de xénon encore plus grand ! Cette fois-ci, il pourra contenir jusqu’à 8000 kg de liquide, dans l’optique de fournir encore plus de possibilités de détecter des interactions rares.