Si le récent cliché d’un trou noir produit à partir des données recueillies par l’Event Horizon Telescope a permis de conforter certaines des prédictions de la relativité générale, les trous noirs recèlent encore de nombreux mystères. C’est le cas notamment de l’alignement de leur disque d’accrétion. Grâce à la simulation d’un trou noir la plus détaillée jamais réalisée, des chercheurs sont parvenus à confirmer une hypothèse énoncée en 1975, qui prédisait que les disques d’accrétion s’alignaient bien sur leur trou noir.
Une équipe internationale a développé la simulation de trou noir la plus détaillée et avec la plus haute résolution à ce jour. Elle permet de conforter des prédictions théoriques sur la nature des disques d’accrétion, qui n’ont jamais été observées auparavant au sein d’une simulation. Le résultat de l’étude a été publié dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
Parmi les découvertes, l’équipe d’astrophysiciens spécialisés en calcul informatique de la Northwestern University, de l’Université d’Amsterdam et de l’Université d’Oxford, a découvert que la région la plus interne d’un disque d’accrétion s’aligne sur l’équateur de son trou noir.
L’alignement des disques d’accrétion sur leur trou noir : l’effet Bardeen-Petterson
Cette découverte résout un mystère de longue date, présenté à l’origine par le physicien John Bardeen, lauréat du prix Nobel, et l’astrophysicien Jacobus Petterson en 1975. À l’époque, Bardeen et Petterson ont soutenu qu’un trou noir en rotation ferait en sorte que la région interne d’un disque d’accrétion incliné s’aligne sur le plan équatorial de son trou noir.
Après des décennies de recherche du soi-disant effet Bardeen-Petterson, la simulation de l’équipe a montré que, tandis que la région externe d’un disque d’accrétion reste inclinée, sa région interne s’aligne sur le trou noir. L’équipe a résolu le problème en résolvant le disque d’accrétion à un degré sans précédent et en intégrant la turbulence magnétisée qui provoque l’accrétion du disque. Les simulations précédentes ont permis une simplification substantielle en se contentant d’approcher les effets de la turbulence.
« Cette découverte révolutionnaire de l’alignement Bardeen-Petterson met fin à un problème qui hante le monde de l’astrophysique depuis plus de quatre décennies » déclare Alexander Tchekhovskoy, qui a dirigé la recherche. « Ces détails autour du trou noir peuvent sembler minimes, mais ils ont un impact considérable sur ce qui se passe dans la galaxie dans son ensemble. Ils contrôlent la vitesse de rotation des trous noirs et, par conséquent, quel effet ont les trous noirs sur leurs galaxies entières ».
« Ces simulations non seulement résolvent un problème vieux de 40 ans, mais elles ont également démontré que, contrairement à ce que l’on pense habituellement, il est possible de simuler les disques d’accrétion les plus lumineux en relativité générale complète. Cela ouvre la voie à une nouvelle génération de simulations qui, je l’espère, résoudront des problèmes encore plus importants liés aux disques d’accrétion lumineux » ajoute Liska.
Des paramètres du disque d’accrétion extrêmement complexes à simuler
Presque tout ce que les chercheurs savent sur les trous noirs a été appris en étudiant les disques d’accrétion. Sans l’anneau intensément lumineux de gaz, de poussière et d’autres débris stellaires qui tourbillonnent autour des trous noirs, les astronomes ne pourraient pas repérer un trou noir afin de l’étudier. Les disques d’accrétion contrôlent également la vitesse de croissance et de rotation d’un trou noir. Il est donc essentiel de comprendre la nature des disques d’accrétion pour comprendre comment les trous noirs évoluent et fonctionnent.
« L’alignement affecte la manière dont les disques d’accrétion contraignent leurs trous noirs » explique Tchekhovskoy. « Cela a donc une incidence sur l’évolution du spin d’un trou noir au fil du temps et sur les éjections de matière et rayonnement, qui ont un impact sur l’évolution des galaxies hôtes ».
De Bardeen et Petterson à nos jours, les simulations ont été trop simplifiées pour trouver l’alignement exact. Deux problèmes principaux ont constitué un obstacle pour les astrophysiciens. D’une part, les disques d’accrétion s’approchent tellement du trou noir qu’ils évoluent dans un espace-temps déformé. Pour compliquer encore les choses, la rotation du trou noir force l’espace-temps à tourner autour de lui. La prise en compte correcte de ces deux effets cruciaux nécessite la relativité générale.
Deuxièmement, les astrophysiciens n’ont pas eu la puissance de calcul nécessaire pour rendre compte de la turbulence magnétique ou de l’agitation à l’intérieur du disque d’accrétion. Cette agitation est ce qui fait que les particules du disque se tiennent ensemble dans une forme circulaire et que le gaz finit par « tomber » dans le trou noir.
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« Imaginez que vous ayez ce disque mince. Ensuite, vous devez également résoudre les mouvements turbulents à l’intérieur du disque. Cela devient un problème vraiment difficile » déclare Tchekhovskoy. Sans être en mesure de résoudre ces problèmes, les scientifiques n’ont pas pu simuler des trous noirs réalistes.
Une nouvelle méthode de calcul et des GPU pour simuler l’alignement du disque d’accrétion
Pour développer un code capable de réaliser des simulations de disques d’accrétion autour de trous noirs, Liska et Tchekhovskoy ont utilisé des unités de traitement graphiques (GPU) au lieu d’unités de traitement centrales (CPU). Extrêmement efficaces pour manipuler les images informatiques et le traitement des images, les GPU accélèrent la création d’images sur un écran. Ils sont beaucoup plus efficaces que les processeurs pour les algorithmes informatiques qui traitent de grandes quantités de données.
Liska a également ajouté une méthode appelée raffinement adaptatif du maillage, qui utilise un maillage dynamique, ou grille, qui change et s’adapte au flux de mouvement tout au long de la simulation. Elle économise de l’énergie et de la puissance de calcul en se concentrant uniquement sur des blocs spécifiques de la grille où des mouvements se produisent.
Cette vidéo montre le résultat de la simulation effectuée par les chercheurs :
Les GPU ont considérablement accéléré la simulation, et le maillage adaptatif a augmenté la résolution. Ces améliorations ont permis à l’équipe de simuler le disque d’accrétion le plus mince à ce jour, avec un rapport hauteur sur rayon de 0.03. Lorsque le disque a été simulé, les chercheurs ont pu voir l’alignement se produire juste à côté du trou noir.
« Les disques les plus minces simulés auparavant avaient un rapport hauteur sur rayon de 0.05, et il s’avère que toutes les choses intéressantes se produisent à 0.03 » indique Tchekhovskoy. Étonnamment, même avec ces disques d’accrétion incroyablement minces, le trou noir émettait toujours de puissants jets de particules et de radiations.
« Personne ne s’attend à ce que ces disques produisent des jets à une aussi faible épaisseur. Les gens s’attendaient à ce que les champs magnétiques qui produisent ces jets détruisent ces disques très minces. Mais ils sont là. Et cela nous aide à résoudre les mystères qui demeuraient » conclut-il.