Au cours des dernières années, des amateurs de sensations fortes venant des quatre coins du monde se sont rendus en Amérique du Sud pour participer à ce que l’on appelle les retraites d’Ayahuasca. L’objectif étant de consommer une préparation brassée à base de vigne, Banisteriopsis caapi, traditionnellement utilisée par les peuples autochtones pour les cérémonies religieuses sacrées. Les buveurs d’Ayahuasca vivent des épisodes hallucinogènes de courte durée, que beaucoup décrivent comme bouleversants.
L’ingrédient actif responsable de ces visions psychédéliques est une molécule appelée diméthyltryptamine (DMT). Pour la première fois, une équipe dirigée par Michigan Medicine de l’université du Michigan, a découvert la présence généralisée de DMT d’origine naturelle dans le cerveau de mammifères. Cette découverte représente la première étape de l’étude du DMT — et la détermination de son rôle — dans le cerveau humain.
« Le DMT ne concerne pas que les plantes, mais peut également être détecté chez les mammifères », explique Jimo Borjigin, du Département de physiologie moléculaire et intégrative. Son intérêt pour le DMT est né accidentellement. Avant d’étudier le psychédélique, ses recherches ont porté sur la production de mélatonine dans la glande pinéale.
Au XVIIe siècle, le philosophe René Descartes a affirmé que la glande pinéale, un petit organe en forme de pomme de pin situé au centre du cerveau, était le « siège de l’âme ». Depuis sa découverte, la glande pinéale recèle de mystères. Les scientifiques savent maintenant qu’elle contrôle la production de mélatonine, jouant un rôle important dans la modulation du rythme circadien ou de l’horloge interne du corps.
Cependant, alors que Borjigin recherchait des références sur internet à inclure dans un cours qu’elle enseignait, certaines sources sur lesquelles elle est tombée lui ont ouvert les yeux quant à l’existence d’une communauté grandissante et toujours convaincue du pouvoir mystique de la glande pinéale. Elle a alors décidé de s’intéresser au sujet.
L’idée de base semble provenir d’un documentaire présentant les travaux du chercheur Rick Strassman, docteur à l’école de médecine de l’Université du Nouveau-Mexique. Au milieu des années 90, il a mené une expérience dans laquelle des sujets humains recevaient du DMT par injection intraveineuse et étaient interrogés après la disparition de ses effets. Dans un documentaire sur l’expérience, Strassman affirme croire que la glande pinéale sécrète du DMT.
« Je me suis dit : attendez, je travaille sur la glande pinéale depuis des années et je n’ai jamais entendu parler de cela », a déclaré Borjigin. Elle a alors contacté Strassman pour lui demander la source de sa déclaration. Lorsque Strassman a admis qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse, Borjigin lui a suggéré de travailler ensemble pour la tester. « Je me disais que si le DMT est une monoamine endogène, il devrait être très facile à détecter à l’aide d’un détecteur de fluorescence ».
En utilisant un processus dans lequel une tubulure de microdialyse est insérée dans un cerveau de rat depuis la glande pinéale, les chercheurs ont recueilli un échantillon qui a été analysé. La présence de DMT a alors été confirmée ! Cette expérience a abouti à un premier article publié en 2013.
Cependant, Borjigin n’était pas satisfaite. Elle s’est alors mise à chercher à savoir comment, et où, le DMT était synthétisé. Un étudiant diplômé travaillant avec elle, Jon Dean, auteur principal de l’étude, a mis en place une expérience utilisant un processus appelé « hybridation in situ », qui utilise un brin complémentaire d’ADN marqué pour localiser une séquence d’ARN spécifique dans une coupe de tissu.
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« Grâce à cette technique, nous avons trouvé des neurones cérébraux dotés des deux enzymes nécessaires à la fabrication du DMT », déclare Borjigin. Et ils ne se trouvaient pas seulement dans la glande pinéale. « On les trouve également dans d’autres parties du cerveau, notamment le néocortex et l’hippocampe, qui sont importants pour les fonctions cérébrales supérieures, notamment l’apprentissage et la mémoire ». Les résultats de cette nouvelle étude ont été publiés dans la revue Scientific Reports.
Les travaux de son équipe ont également révélé que les niveaux de DMT augmentaient chez certains rats en arrêt cardiaque. Un article publié en 2018 par des chercheurs du Royaume-Uni prétendait que le DMT simulait l’expérience de la mort imminente, dans laquelle les gens rapportaient la sensation de transcender leur corps et d’entrer dans « une autre dimension ».
Borjigin espère maintenant approfondir ses recherches pour découvrir la fonction des niveaux naturels de DMT dans le cerveau, ainsi que son rôle éventuel dans les fonctions cérébrales normales.
« Nous ne connaissons pas les rôles exacts du DMT dans le cerveau. Tout ce que nous affirmons, c’est que nous avons découvert les neurones qui fabriquent cette substance chimique dans le cerveau, et ce, à des niveaux similaires à ceux des autres neurotransmetteurs monoamines ».