Au cours des dernières années, la recherche concernant le développement d’ordinateurs quantiques s’est intensifiée. Cependant, la clé pour y parvenir pourrait ne pas reposer sur le paradigme classique de l’utilisation des photons, mais plutôt sur l’utilisation des phonons (particules du son). C’est les conclusions d’une étude récente dans laquelle des physiciens ont mis au point un dispositif pouvant compter et mesurer individuellement des phonons.
Les physiciens de Stanford ont mis au point un « microphone quantique » si sensible qu’il peut mesurer individuellement les phonons. Un phonon est un quantum d’énergie vibratoire au sein d’un réseau cristallin. C’est une quasi-particule permettant de décrire les modes de vibration et les oscillations à l’intérieur d’un solide.
Le dispositif, décrit dans la revue Nature, pourrait éventuellement conduire à des ordinateurs quantiques plus petits et plus efficaces fonctionnant en manipulant le son plutôt que la lumière. « Nous espérons que cet appareil autorisera de nouveaux types de capteurs quantiques, de transducteurs et de dispositifs de stockage pour les futures machines quantiques » déclare Amir Safavi-Naeini, professeur de physique appliquée à la faculté des sciences humaines de l’Université de Stanford.
Le son : un ensemble de quantas d’énergie vibratoire
Proposés pour la première fois par Albert Einstein en 1907, les phonons sont des paquets d’énergie vibratoire émis par des atomes instables. Ces paquets indivisibles, ou quantas, se manifestent sous forme de son ou de chaleur, en fonction de leurs fréquences. Comme les photons (les porteurs quantiques de la lumière), les phonons sont quantifiés, ce qui signifie que leurs énergies de vibration sont limitées à des valeurs discrètes.
« Le son a cette granularité que nous n’éprouvons pas normalement. Le son, au niveau quantique, craque » déclare Safavi-Naeini. L’énergie d’un système mécanique peut être représentée sous la forme « d’états de Fock » différents (0, 1, 2, etc.) en fonction du nombre de phonons qu’il génère. Par exemple, un état de Fock 1 consiste en un phonon d’une énergie particulière, un état de Fock 2 consiste en deux phonons de même énergie, etc. Les états de phonon supérieurs correspondent aux sons les plus forts.
Jusqu’à présent, les scientifiques ont été incapables de mesurer directement les états de phonons dans les structures modifiées, car les différences d’énergie entre les états sont à présent très réduites. « Un phonon correspond à une énergie dix mille milliards de fois inférieure à l’énergie nécessaire pour garder une ampoule allumée pendant une seconde » explique Patricio Arrangoiz-Arriola.
Utiliser la mécanique quantique pour mesurer directement l’énergie des phonons
Pour résoudre ce problème, l’équipe a mis au point le microphone le plus sensible au monde, qui exploite les principes quantiques pour écouter les murmures d’atomes. Dans un microphone ordinaire, les ondes sonores entrantes agitent une membrane interne et ce déplacement physique est converti en une tension mesurable. Cette approche ne fonctionne pas pour détecter des phonons individuels car, selon le principe d’indétermination de Heisenberg, la position et la vitesse d’un objet quantique ne peuvent pas être connus simultanément avec précision.
« Si vous essayez de mesurer le nombre de phonons avec un microphone ordinaire, l’acte de mesure injecte de l’énergie dans le système, ce qui masque l’énergie même que vous essayez de mesurer » indique Safavi-Naeini. Au lieu de cela, les physiciens ont mis au point un moyen de mesurer directement les états de Fock — et donc le nombre de phonons — dans les ondes sonores. « La mécanique quantique nous dit que la position et la vitesse ne peuvent pas être connus avec précision, mais elle ne dit rien de tel sur l’énergie. L’énergie peut être connue avec une précision infinie ».
Un microphone quantique pour écouter le « chant » des qubits
Le microphone quantique mis au point par le groupe consiste en une série de résonateurs nanomécaniques à très basse température, si petits qu’ils ne sont visibles qu’au microscope électronique. Les résonateurs sont couplés à un circuit supraconducteur contenant des paires d’électrons qui se déplacent sans résistance.
Le circuit forme un bit quantique, ou qubit, pouvant exister dans deux états à la fois et possédant une fréquence propre, qui peut être lue électroniquement. Lorsque les résonateurs mécaniques vibrent comme une peau de tambour, ils génèrent des phonons dans différents états. « Les résonateurs sont formés à partir de structures périodiques qui agissent comme des miroirs pour le son. En introduisant un défaut dans ces réseaux artificiels, nous pouvons piéger les phonons au milieu des structures » explique Arrangoiz-Arriola.
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Les phonons piégés font vibrer les murs de leurs prisons et ces mouvements mécaniques sont transmis au qubit par des fils ultra-minces. « La sensibilité du qubit au déplacement est particulièrement forte lorsque les fréquences du qubit et des résonateurs sont presque identiques » déclare Alex Wollack, physicien à Stanford.
Cependant, en désaccordant le système de sorte que le qubit et les résonateurs vibrent à des fréquences très différentes, les chercheurs ont affaibli cette connexion mécanique et déclenché un type d’interaction quantique, appelée interaction dispersive, qui relie directement le qubit aux phonons.
Cette liaison entraîne un décalage de la fréquence du qubit proportionnellement au nombre de phonons dans les résonateurs. En mesurant les changements du qubit au diapason, les chercheurs pourraient déterminer les niveaux d’énergie quantifiés des résonateurs vibrants, ce qui résoudrait efficacement les phonons eux-mêmes. « Différents niveaux d’énergie de phonons apparaissent sous forme de pics distincts dans le spectre de bits. Ces pics correspondent à des états de Fock de 0, 1, 2 et ainsi de suite. Ces multiples pics n’avaient jamais été vus auparavant ».
Des ordinateurs quantiques à base de phonons
Maîtriser la capacité de générer et de détecter des phonons avec précision pourrait aider à ouvrir la voie à de nouveaux types de dispositifs quantiques capables de stocker et de récupérer des informations codées sous forme de particules sonores ou pouvant effectuer une conversion transparente entre des signaux optiques et mécaniques.
On pourrait concevoir que de tels dispositifs soient plus compacts et plus efficaces que les machines quantiques utilisant des photons, car les phonons sont plus faciles à manipuler et ont des longueurs d’onde des milliers de fois inférieures aux photons. « À l’heure actuelle, les chercheurs utilisent des photons pour coder ces états. Nous voulons utiliser des phonons, ce qui présente de nombreux avantages. Notre appareil représente une étape importante dans la conception d’un ordinateur quantique performant et abordable » conclut Safavi-Naeini.