Au cours des dernières années, les cosmologistes ont pu poser de solides contraintes sur les densités de matière et énergie noires, malgré le fait que leur nature soit toujours inconnue. Un des objectifs des chercheurs est d’arriver à établir des cartes précises de distribution de la matière noire dans et entre les galaxies. Dans une récente étude, des cosmologistes ont combiné leur expertise avec celle d’experts en intelligence artificielle afin de développer un réseau de neurones capables d’estimer, bien plus précisément que les méthodes humaines, la quantité et la distribution de matière noire.
À l’ETH Zürich (en Suisse), des physiciens et des informaticiens se sont associés pour améliorer les méthodes standard d’estimation du contenu en matière noire de l’univers par le biais de l’intelligence artificielle. Ils ont utilisé des algorithmes d’apprentissage automatique de pointe pour l’analyse cosmologique de données qui ont beaucoup en commun avec ceux utilisés pour la reconnaissance faciale par Facebook et d’autres médias sociaux. Leurs résultats ont récemment été publiés dans la revue Physical Review D.
Lentilles gravitationnelles faibles et cartes de distribution de la matière noire
Tandis qu’il n’y a pas de visages à reconnaître sur les images de l’Univers, les cosmologues cherchent toujours quelque chose de similaire, explique Tomasz Kacprzak, chercheur dans le groupe d’Alexandre Refregier de l’Institut de physique des particules et d’astrophysique : « Facebook utilise ses algorithmes pour trouver des yeux, des bouches ou des oreilles dans les images ; nous utilisons les nôtres pour rechercher les signes révélateurs de matière noire et d’énergie noire ».
Comme la matière noire ne peut pas être vue directement par les télescopes, les physiciens s’appuient sur le fait que, comme la matière ordinaire, la matière noire courbe légèrement le trajet des rayons lumineux arrivant sur Terre à partir de galaxies lointaines. Cet effet, connu sous le nom de lentille gravitationnelle faible, déforme très subtilement les images de ces galaxies. Les cosmologistes peuvent utiliser cette distorsion pour créer des cartes de distribution de la matière noire.
Ensuite, ils comparent ces cartes de la matière noire aux prévisions théoriques afin de déterminer le modèle cosmologique qui correspond le mieux aux données. Pour ce faire, on utilise généralement des statistiques conçues par l’être humain, telles que les fonctions de corrélation, qui décrivent les relations entre différentes parties des cartes. Ces statistiques, cependant, sont limitées quant à leur capacité à trouver des modèles complexes dans les cartes.
Réseaux de neurones : un apprentissage autonome pour quantifier la matière noire
« Dans nos travaux récents, nous avons utilisé une méthodologie totalement nouvelle » déclare Alexandre Refregier. « Au lieu d’inventer nous-mêmes l’analyse statistique appropriée, nous laissons les ordinateurs faire le travail ». C’est là qu’interviennent Aurelien Lucchi et ses collègues du Data Analytics Lab du département d’informatique.
Ils ont utilisé des algorithmes d’apprentissage automatique appelés réseaux de neurones artificiels profonds et leur ont appris à extraire le plus grand nombre possible d’informations des cartes de la matière noire. Dans un premier temps, les informaticiens ont formé les réseaux de neurones en leur fournissant des données générées par ordinateur qui simulent l’Univers.
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De cette façon, ils savaient quelle devrait être la réponse correcte pour un paramètre cosmologique donné (par exemple, le rapport entre la quantité totale de matière noire et d’énergie noire) pour chaque carte simulée de matière noire. En analysant à plusieurs reprises les cartes de la matière noire, le réseau de neurones a appris à rechercher le type de caractéristiques approprié et à extraire de plus en plus les informations souhaitées.
Une intelligence artificielle bien plus précise que l’Homme
Les résultats de cet entraînement ont été encourageants : les réseaux de neurones ont dégagé des valeurs 30% plus précises que celles obtenues par les méthodes traditionnelles basées sur une analyse statistique réalisée par l’Homme. Pour les cosmologistes, cela représente un progrès considérable, car atteindre la même précision en augmentant le nombre d’images de télescope exigerait deux fois plus de temps d’observation, ce qui est coûteux.
Enfin, les scientifiques ont utilisé leur réseau de neurones entièrement formé pour analyser les cartes de matière noire réelles à partir du jeu de données KiDS-450. « C’est la première fois que de tels outils d’apprentissage automatique sont utilisés dans ce contexte, et nous avons constaté que le réseau de neurones artificiels profonds nous permettait d’extraire plus de données que les approches précédentes. Nous pensons que cet usage de l’apprentissage automatique en cosmologie aura de nombreuses applications futures » explique Fluri.
Dans une prochaine étape, lui et ses collègues prévoient d’appliquer leur méthode à de plus grands ensembles d’images, tels que le Dark Energy Survey. En outre, davantage de paramètres cosmologiques et d’affinements, tels que des détails sur la nature de l’énergie noire, alimenteront les réseaux de neurones.