L’étude de la distribution de la matière et, plus généralement, des grandes structures de l’Univers, est un domaine important en cosmologie car il permet de mieux contraindre les modèles théoriques décrivant l’évolution et la dynamique de notre univers, mais également de comprendre la manière dont celui-ci est globalement agencé. Ce modèle d’organisation structurelle prend le nom de « toile cosmique ».
De nos jours, même lorsque nous prenons en compte tous les objets lumineux dits « normaux » que nous connaissons dans l’Univers, soit les galaxies, les amas de galaxies ainsi que le milieu intergalactique, il manque toujours environ la moitié de la matière qui devrait s’y trouver selon les lois de la physique… Ainsi, non seulement 25% de la matière dans l’univers est composée d’une « substance » inconnue et invisible appelée « matière noire », mais nous ne constatons même pas toute la quantité de matière baryonique (matière normale) qui devrait s’y trouver selon les prévisions théoriques…
Il s’agit d’une problématique connue sous le nom de « problème des baryons manquants ». Ce problème d’astrophysique est lié au fait que la quantité de matière baryonique observée ne correspond pas aux prévisions théoriques. À savoir que les baryons sont des particules qui émettent ou absorbent de la lumière, comme des protons, des neutrons ou des électrons, qui composent la matière que nous voyons autour de nous.
À l’heure actuelle, les scientifiques pensent que les baryons manquants sont cachés dans des structures filamenteuses qui imprègnent l’univers entier, ce qui est également connu sous le nom de « toile cosmique ». (À noter également que le problème des baryons manquants est un problème différent de celui de la matière noire, qui est principalement de nature non baryonique !).
Cependant, cette structure de toile cosmique reste insaisissable et jusqu’à présent, nous n’en avons eu qu’un aperçu. Mais maintenant, une nouvelle étude offre une meilleure vue d’ensemble, qui nous permettra de mieux définir ce à quoi elle ressemble. Ce réseau de toile cosmique représente l’échafaudage de la structure à grande échelle de l’Univers et a été prédit par le modèle standard de la cosmologie. D’ailleurs, il faut savoir que les cosmologistes pensent qu’il existe un réseau cosmique sombre, constitué de matière noire, ainsi qu’un réseau cosmique lumineux, composé principalement de gaz hydrogène. En réalité, les chercheurs pensent que 60% de l’hydrogène créé lors du Big Bang réside dans ces filaments.
Ce réseau de toile de filaments de gaz est également appelé milieu intergalactique chaud (ou WHIM, pour Warm-Hot Intergalactic Medium), et fait référence à un plasma clairsemé, de chaud à très chaud (105 à 107 K) : les astrophysiciens supposent qu’il pourrait contenir 40% à 50% des baryons de l’Univers tel qu’on peut l’observer actuellement. À noter également que les galaxies sont susceptibles de se former à l’intersection de deux ou plusieurs de ces filaments, là où la matière est la plus dense.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas pu directement détecter de la matière noire. Cela est dû au fait qu’elle n’émet ni absorbe de lumière et qu’elle ne peut donc pas être observée avec les télescopes habituels. Les filaments de la toile cosmique sont également très difficiles à trouver car ils sont très diffus et n’émettent pas suffisamment de lumière pour être détectés.
Depuis la prédiction initiale, de très nombreuses recherches concernant la toile cosmique ont été menées, et ce, par le biais de nombreuses méthodes. L’une de ces méthodes repose sur la détection d’objets brillants se trouvant à l’arrière-plan, sur la même « ligne » qu’un filament de gaz.
Les atomes d’hydrogène dans les filaments peuvent absorber la lumière à une longueur d’onde spécifique dans l’ultraviolet, et cela peut être détecté sous forme de lignes d’absorption dans la lumière de l’objet d’arrière-plan, lorsqu’il est décomposé en un spectre par longueur d’onde. Cette méthode a notamment été appliquée à l’aide de quasars, les objets les plus brillants de l’univers.
La nouvelle étude a réussi à détecter le gaz d’une manière totalement nouvelle, permettant une imagerie bidimensionnelle du réseau cosmique, au lieu de s’appuyer sur l’emplacement aléatoire d’une source lumineuse située derrière le nuage de gaz utilisé dans les études d’absorption.
L’objet qu’ils ont étudié, appelé SSA22 est un proto-amas, ce qui signifie qu’il s’agit d’un amas de galaxies à ses débuts. Cet amas est beaucoup plus éloigné que les fragments de toile cosmique précédemment mesurés… En effet, sa lumière a parcouru environ 12 milliards d’années pour nous atteindre. Rien que cela. Ce qui signifie que nous regardons dans le passé jusqu’aux premiers stades de l’univers, permettant ainsi aux scientifiques de sonder comment les filaments se sont assemblés pour la première fois.
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Un autre mystère que cette étude permet de résoudre est la formation des galaxies se trouvant dans le domaine de l’observation des ondes submillimétriques (appelées parfois « galaxies submillimétriques ») — qui consiste à étudier des longueurs d’onde comprises entre 1 et 0.1 millimètre à l’aide de radiotélescopes performants, dans le but de recueillir des informations sur le milieu interstellaire ainsi que sur les objets qui le constituent.
L’explication la plus largement acceptée à ce jour, est qu’elles se forment à la suite de la fusion de deux galaxies normales, formant ainsi une galaxie massive dont la quantité de lumière est double. Cependant, des simulations informatiques montrent que ces galaxies peuvent se développer à partir du gaz froid qui provient du réseau cosmique voisin : ce scénario est à présent confirmé par la nouvelle étude.
Cette nouvelle étude ouvre la voie à une cartographie bidimensionnelle plus systématique des filaments de gaz de la toile cosmique, qui peut nous renseigner sur leurs mouvements dans l’espace.
Les recherches futures dans ce domaine aideront donc à mieux cartographier la toile cosmique cachée. En plus de pouvoir examiner les amas de galaxies remplis d’objets brillants, nous pourrons mieux analyser les gaz de la toile cosmique constituant une grande partie de l’univers. À noter également que l’observatoire Athena à rayons X de l’ESA fournira une image complète des filaments chauds entourant les amas de galaxies de l’univers proche.
Une autre mission a également été proposée, et cette dernière consiste à utiliser le fond diffus cosmologique (CMB, de l’anglais Cosmic Microwave Background), la lumière laissée par le Big Bang (comme une « lumière de fond »), afin de rechercher les fines empreintes laissées par la toile cosmique.
Dans tous les cas, ces études futures pourront nous aider à révéler les mystères de la structure de la toile cosmique ainsi que nous fournir un recensement de la matière dans l’univers.