Des chercheurs étudient ce qu’il se passe dans le cerveau des musiciens de jazz qui improvisent de la musique.
Bien que l’improvisation musicale (soit le fait de produire de nouveaux passages dans l’instant) ne soit pas propre au jazz, il s’agit peut-être de l’élément le plus déterminant du genre. En effet, bien que les solos de jazz improvisés soient spontanés, « il existe tout de même des règles », explique Martin Norgaard, professeur associé d’éducation musicale à la Georgia State University.
« Dans le jazz tonal, l’improvisation n’est pas ‘libre’ », explique Norgaard. « C’est toujours lié à la structure d’accord sur laquelle la mélodie est basée », ajoute-t-il. En d’autres termes, l’improvisation est une forme incroyablement complexe d’expression créative, mais de grands improvisateurs de jazz tel que Charlie Parker, Miles Davis ou John Coltrane, donnent l’impression que ça vient tout seul.
« En tant que musicien, vous avez l’impression qu’il y a une différence dans le fonctionnement de votre cerveau lorsque vous improvisez », explique Norgaard, qui est également violoniste et s’est rendu aux États-Unis en 1985 pour étudier le jazz. « Vous exploitez toutes vos connaissances stockées et les adaptez à une structure d’accord en temps réel », ajoute-t-il.
Puis, pendant qu’il était en train de travailler sur son doctorat, à l’Université du Texas à Austin, Norgaard a commencé à étudier les effets de l’improvisation musicale en interrogeant notamment des artistes de jazz et des étudiants, sur leurs pensées au cours du processus d’improvisation, et en analysant des solos de Charlie Parker, à la recherche de motifs et d’éléments, pour voir comment cela affectait leurs performances.
C’est au printemps dernier que Norgaard s’est associé à Mukesh Dhamala, professeur agrégé de physique et d’astronomie, et a demandé à des musiciens de jazz avancés de produire de la musique apprise et improvisée tout en subissant une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), un scanner qui mesure l’activité du cerveau en temps réel.
Lors de leur étude, les chercheurs ont découvert une diminution de la connectivité cérébrale au cours de l’improvisation. Norgaard affirme que cette conclusion n’est pas aussi surprenante que nous pourrions le penser… « Cette idée de ‘flow’, de flux – où vous êtes complètement immergé dans une activité – a été liée à la désactivation de certaines zones du cerveau », explique-t-il donc. « Il se peut que l’exécution d’improvisation engage un réseau cérébral plus petit et plus concentré, tandis que d’autres parties du cerveau se taisent », ajoute-t-il.
Dans sa dernière étude en date, Norgaard examine l’effet de « transfert lointain » de l’improvisation, où comment l’apprentissage de la musique au moment présent influe sur d’autres capacités cognitives. « Depuis près de trois décennies, les scientifiques ont exploré l’idée qu’apprendre à jouer d’un instrument était lié à la réussite scolaire. Pourtant, il existe de nombreux types d’apprentissages de la musique. Est-ce que l’enfant qui apprend à l’oreille a les mêmes avantages que celui qui apprend la notation, ou encore celui qui apprend à improviser ? », s’interroge Norgaard.
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Au cours de cette étude, les chercheurs ont commencé par effectuer un test préliminaire, dans lequel ils avaient demandé à deux groupes d’élèves (d’école secondaire) d’effectuer chacun deux tâches : un premier groupe servait à tester la flexibilité cognitive ou la capacité du cerveau à effectuer des tâches en alternance, et l’autre groupe à tester le contrôle inhibiteur, soit la capacité du cerveau à se concentrer sur les informations pertinentes et à bloquer celles qui ne le sont pas.
Certains collégiens jouaient d’un ou plusieurs instruments, mais seuls quelques-uns étudiaient le jazz dans le cadre du programme Georgia State Rialto Jazz for Kids de Géorgie.
Les chercheurs ont ensuite constaté que les étudiants en jazz avaient considérablement surpassé leurs pairs. « Les enfants ayant une grande flexibilité cognitive sont-ils simplement attirés par le jazz ? Ou est-ce l’improvisation qui produit l’effet ? », demande encore Norgaard. « Nous ne savons toujours pas », a-t-il ajouté.
Dans l’optique de faire un suivi, Norgaard et ses collaborateurs ont demandé au directeur de l’école de diviser l’ensemble de son orchestre de concert, soit 155 élèves, en deux groupes. Chaque groupe a ensuite étudié le jazz, mais seulement la moitié a appris l’improvisation. Ensuite, chaque groupe a été soumis aux deux mêmes tests cérébraux.
Le résultat ? Une formation d’improvisation a conduit à une amélioration significative de la flexibilité cognitive. « Il est difficile de dire ce qui fait cette différence. C’est peut-être l’âge des enfants ou le nombre d’années passées à jouer d’un instrument. Par la suite, nous devrons déterminer si l’improvisation a des effets cognitifs différents en fonction de l’âge ou de l’expérience de l’élève », explique Norgaard.