Bien que le phénomène ne soit pas vraiment rare — il y en a environ une dizaine chaque année dans la Voie lactée —, les astronomes n’avaient jamais pu observer de nova du début à la fin de « l’explosion ». Mais les scientifiques de la mission BRITE ont récemment eu cette chance et leur observation a permis de mieux comprendre cet événement : il se trouve que la majeure partie de la lumière observée provient d’une série d’ondes de choc qui se propagent au sein de la nova.
La mission BRITE (BRIght Target Explorer) Constellation est constituée d’un réseau de six nanosatellites, gérés par un consortium de chercheurs canadiens, autrichiens et polonais. Lancés en 2013 et 2014, ces satellites sont chargés d’étudier la structure et l’évolution des étoiles les plus brillantes du ciel. Ils enregistrent tous les événements par photométrie haute précision. Par chance, les satellites étaient ces derniers temps focalisés sur une région où est apparue une nova. Les scientifiques détiennent ainsi toutes les données liées à l’événement, du début à la fin.
Une théorie enfin confirmée
Une nova est une étoile qui devient momentanément très brillante (jusqu’à 10 magnitudes de plus), pendant quelques jours ; l’étoile reprend ensuite son éclat initial. Le phénomène a lieu dans un système binaire ; deux étoiles se retrouvent très proches l’une de l’autre : l’une est une naine blanche, l’autre a atteint le stade de géante rouge et son enveloppe gazeuse se dilate. De par la proximité des deux étoiles, ces gaz s’échappent peu à peu vers la naine blanche : il y a un transfert de masse entre les deux objets célestes.
Un disque d’accrétion, constitué principalement d’hydrogène, se forme ainsi autour de la naine blanche avant de s’écraser à sa surface (de par son importante attraction gravitationnelle). Les gaz se retrouvent comprimés, chauffés à très haute température, et de la matière continue de s’ajouter. Mais lorsque la température et la pression dépassent un certain seuil, une explosion thermonucléaire se produit et convertit l’hydrogène en hélium et autres éléments.
Cette explosion génère une énorme quantité d’énergie, qui expulse les gaz de surface dans l’espace : c’est ce qui produit l’éclat extrême de l’étoile. L’événement produit non seulement de la lumière visible, mais aussi des rayons gamma et des rayons X. Certaines étoiles qui ne pouvaient être vues qu’à travers un télescope, peuvent alors être vues à l’œil nu momentanément.
Par le passé, les astronomes pensaient d’ailleurs qu’il s’agissait de nouvelles étoiles (puisqu’elles étaient invisibles avant de devenir si lumineuses), d’où le nom nova (« nouvelle » en latin). La luminosité est multipliée en quelques jours par un facteur compris entre 10’000 et un million, en fonction de la quantité d’hydrogène accumulée.
Plusieurs mois sont nécessaires pour un retour « à la normale ». Bien entendu, l’explication du phénomène est purement théorique et ses origines ne sont pas encore complètement comprises, comme le rappelle le professeur Werner Weiss du Département d’astrophysique de l’Université de Vienne : « Mais qu’est-ce qui fait exploser une étoile auparavant peu impressionnante ? C’était un problème qui n’avait pas été résolu de manière satisfaisante jusqu’à présent ». L’observation du processus dans sa totalité permet aujourd’hui de confirmer une partie de la théorie. L’équipe autour de la mission BRITE a rendu compte de ses conclusions dans un nouveau document, publié dans la revue Nature Astronomy.
Une luminosité extrême due à des ondes de choc
À savoir que cette observation de nova est survenue par hasard, car par chance, elle se trouvait dans une zone déjà scrutée : le réseau BRITE observait depuis plusieurs semaines une vingtaine d’étoiles dans la constellation de la Carène, connue pour héberger un nombre important d’étoiles brillantes. Un contrôle de routine a permis d’identifier le phénomène : « Soudain, il y avait une étoile dans nos enregistrements qui n’était pas là la veille », s’enthousiasme le directeur des opérations de BRITE, Rainer Kuschnig. « Je n’avais jamais rien vu de tel pendant toutes les années de la mission ! ».
L’objet en question a rapidement été identifié : il s’agissait de Nova Carinae 2018, ou V906 Carinae, découverte en mars 2018 par le programme All Sky Automated Survey for SuperNovae (noté ASAS-SN), dédié à la recherche de supernovas. « Il est fantastique qu’une nova puisse être observée pour la première fois par nos satellites avant même son éruption et jusqu’à plusieurs semaines plus tard », déclare Otto Koudelka, chef de projet du satellite BRITE Austria (TUGSAT-1) à l’Université de technologie de Graz. À noter que V906 Carinae est à environ 13’000 années-lumière de là, l’événement est donc déjà de l’histoire ancienne.
Pendant longtemps, les astrophysiciens ont pensé que la luminosité d’une nova était alimentée par une combustion nucléaire continue, dès le démarrage de la fusion galopante de l’hydrogène. Mais les données de BRITE suggèrent quelque chose de différent. Les auteurs de l’article montrent en effet que les ondes de choc, internes à la nova, jouent un rôle plus important que prévu. « La qualité exceptionnelle de nos données nous a permis de distinguer les éruptions simultanées à la fois en lumière optique et en rayons gamma, ce qui fournit la preuve que les ondes de choc jouent un rôle majeur dans l’alimentation de certaines explosions stellaires », précise Elias Aydi, astronome à la Michigan State University et co-auteur de l’étude.
Les rayons gamma – les longueurs d’onde les plus énergétiques du spectre lumineux – sont produits par l’interaction entre des particules subatomiques accélérées, à des énergies extrêmes. Mais les astronomes ne s’attendaient pas à ce que les novas soient suffisamment puissantes pour produire le niveau d’accélération requis. Or, en comparant les données du télescope Fermi (télescope de la NASA destiné à l’étude des rayons gamma émis par les objets célestes) et de BRITE, les chercheurs ont constaté que des pics apparaissaient à peu près au même moment, dans chaque relevé de données. Ces pics de lumière doivent donc partager la même source : des ondes de choc qui se propagent dans les débris de la nova.
Sur le même sujet : Observation de la supernova la plus lumineuse, énergétique et massive jamais détectée
Ils ont ainsi conclu que la majeure partie de la luminosité est alimentée par chocs et non par une combustion nucléaire. « Nos observations de la nova V906 Carinae démontrent définitivement qu’une luminosité substantielle peut être produite – et émerger à des longueurs d’onde optiques – par des chocs énergétiques fortement absorbés dans des transitoires explosifs ». Les ondes de choc produiraient même plus de lumière lors de l’éruption que la naine blanche elle-même. Ces ondes de choc pourraient par ailleurs être impliquées dans d’autres événements comme les supernovas, les fusions stellaires et les événements de perturbation des marées, selon les chercheurs.
Cette étude est la première observation directe de tels chocs, et n’est probablement que le début de l’observation et de la compréhension du rôle qu’ils jouent. L’équipe mise sur les équipements toujours plus modernes, tels que les télescopes du programme ASAS-SN, le Zwicky Transient Facility – détecteur d’objets transitoires et mobiles installé à l’observatoire Palomar – ou encore l’Observatoire Vera-C.-Rubin, en cours de construction au Chili, pour découvrir d’autres événements aussi lumineux et mieux comprendre ces événements transitoires que sont les novas.