Postulées dès 1932 concomitamment à la découverte du neutron puis observées pour la première fois en 1967, les étoiles à neutrons sont les résidus compacts de l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive arrivée en fin de vie. Composés essentiellement de neutrons, ces objets attirent particulièrement l’intérêt des astrophysiciens concernant leur structure interne et la matière qui compose leur cœur. Certaines hypothèses ont avancé que la matière la plus interne des étoiles à neutrons suffisamment massives n’était plus une matière nucléaire dense mais une matière chromodynamique composée majoritairement de quarks. Et selon des travaux publiés récemment par une équipe finlandaise, il semblerait que ce soit bien le cas.
Un groupe de recherche finlandais a identifié des preuves de la présence de matière à quarks (ou matière QCD) à l’intérieur des noyaux des plus grandes étoiles à neutrons. Ils sont parvenus à cette conclusion en combinant les résultats récents de la physique théorique des particules et de la physique nucléaire aux mesures des ondes gravitationnelles des collisions d’étoiles à neutrons.
Cœur des étoiles à neutrons : l’hypothèse de la matière à quarks
Toute la matière classique qui nous entoure est composée d’atomes, dont les noyaux denses, comprenant des protons et des neutrons, sont entourés d’électrons chargés négativement. Cependant, à l’intérieur des étoiles à neutrons, la matière atomique est connue pour s’effondrer en une matière nucléaire extrêmement dense dans laquelle les neutrons et les protons sont si étroitement liés que l’étoile entière peut être considérée comme un seul énorme noyau.
Jusqu’à présent, on ne sait toujours pas si la matière nucléaire dans le cœur des étoiles à neutrons les plus massives s’effondre dans un état encore plus dense appelé matière à quarks, dans lequel les noyaux eux-mêmes n’existent plus. Des chercheurs de l’Université d’Helsinki affirment maintenant que c’est bien le cas. Les nouveaux résultats ont été publiés dans la revue Nature Physics.
« Confirmer l’existence de noyaux de quarks à l’intérieur des étoiles à neutrons a été l’un des objectifs les plus importants de la physique des étoiles à neutrons depuis que cette possibilité a été envisagée pour la première fois il y a environ 40 ans », explique Aleksi Vuorinen du département de physique de l’Université d’Helsinki.
Un noyau de matière à quarks dans les étoiles à neutrons les plus massives ?
Même avec des simulations à grande échelle exécutées sur des supercalculateurs incapables de déterminer le devenir de la matière nucléaire à l’intérieur des étoiles à neutrons, le groupe de recherche finlandais a proposé une nouvelle approche du problème. Ils ont réalisé qu’en combinant les découvertes récentes de la physique théorique des particules et de la physique nucléaire avec des mesures astrophysiques, il serait possible de déduire les caractéristiques et la nature de la matière résidant à l’intérieur des étoiles à neutrons.
Selon l’étude, la matière résidant à l’intérieur des noyaux des étoiles à neutrons stables les plus massives ressemble beaucoup plus à la matière à quarks qu’à la matière nucléaire ordinaire. Les calculs indiquent que dans ces étoiles, le diamètre du noyau identifié comme matière à quark peut dépasser la moitié de celui de l’étoile à neutrons entière. Cependant, Vuorinen souligne qu’il existe encore de nombreuses incertitudes associées à la structure exacte des étoiles à neutrons.
« Il y a encore une chance faible mais non nulle que toutes les étoiles à neutrons soient composées uniquement de matière nucléaire. Ce que nous avons pu faire, cependant, est de quantifier ce que ce scénario nécessiterait. En bref, le comportement de la matière nucléaire dense devrait être vraiment particulier. Par exemple, la vitesse du son devrait atteindre presque celle de la lumière ».
Le rôle clé joué par l’astrophysique des ondes gravitationnelles
Un facteur clé contribuant aux nouvelles découvertes a été l’émergence de deux résultats récents en astrophysique observationnelle : la mesure des ondes gravitationnelles d’une fusion d’étoiles à neutrons et la détection d’étoiles à neutrons très massives, avec des masses proches de deux masses solaires.
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Durant l’automne 2017, les observatoires LIGO et Virgo ont détecté pour la première fois des ondes gravitationnelles générées par la fusion de deux étoiles à neutrons. Cette observation a fixé une limite supérieure rigoureuse pour une quantité appelée déformabilité des marées, qui mesure la sensibilité de la structure d’une étoile en orbite au champ gravitationnel de son compagnon. Ce résultat a ensuite été utilisé pour dériver une limite supérieure pour les rayons des étoiles à neutrons en collision, qui se sont avérés être d’environ 13 km.
De même, alors que la première observation d’une étoile à neutrons remonte à 1967, des mesures de masse précises de ces étoiles n’ont été possibles que depuis une vingtaine d’années. La plupart des étoiles avec des masses connues avec précision se situent à l’intérieur d’une fenêtre comprise entre 1 et 1.7 masse stellaire, mais la dernière décennie a vu la détection de trois étoiles atteignant ou dépassant même légèrement la limite des deux masses solaires.
Des résultats cohérents entre prédictions théoriques et observations
De façon quelque peu contre-intuitive, les informations sur les rayons et les masses des étoiles à neutrons ont déjà considérablement réduit les incertitudes associées aux propriétés thermodynamiques de la matière des étoiles à neutrons. Cela a également permis de compléter l’analyse présentée par les auteurs.
Animation montrant la caractérisation et l’interprétation de l’équation d’état du cœur des étoiles à neutrons en fonction de paramètres tels que le rayon et la masse :
Dans la nouvelle analyse, les observations astrophysiques ont été combinées avec des résultats théoriques de pointe de la physique des particules. Cela a permis de dériver une prédiction précise pour ce qui est connu comme l’équation d’état de la matière des étoiles à neutrons, qui se réfère à la relation entre sa pression et sa densité d’énergie. Une composante intégrale de ce processus était un résultat bien connu de la relativité générale, qui relie l’équation d’état à une relation entre les valeurs possibles des rayons et des masses des étoiles à neutrons.
Depuis l’automne 2017, un certain nombre de nouvelles fusions d’étoiles à neutrons ont été observées, et LIGO et Virgo sont rapidement devenus partie intégrante de la recherche sur les étoiles à neutrons. C’est cette accumulation rapide de nouvelles informations qui joue un rôle clé dans l’amélioration de la précision des nouvelles découvertes et dans la confirmation de l’existence de la matière à quarks à l’intérieur des étoiles à neutrons. De nouvelles observations étant attendues dans un proche avenir, les incertitudes associées aux nouveaux résultats diminueront également automatiquement.