Le vieillissement s’accompagne du déclin plus ou moins rapide de diverses fonctions physiques. Les mitochondries jouent un rôle majeur dans ce processus de vieillissement, car l’énergie qu’elles fournissent aux cellules, l’adénosine triphosphate (ou ATP), diminue avec l’âge. Si la rétine vieillit plus vite que les autres organes, c’est parce que les mitochondries sont particulièrement nombreuses dans les photorécepteurs. Des chercheurs britanniques montrent aujourd’hui que la baisse de l’acuité visuelle due au vieillissement pourrait néanmoins être ralentie en améliorant la fonction mitochondriale.
Selon les résultats de leurs analyses, regarder une lumière d’un rouge profond pendant trois minutes par jour pourrait limiter considérablement la baisse de la vue. Une découverte qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles thérapies oculaires, accessibles et aisément réalisables à domicile, pour soigner des millions de personnes dans le monde.
Un vieillissement cellulaire inéluctable
Notre rétine comporte deux types de photorécepteurs : environ 5 millions de cônes – qui nous permettent de voir le jour et de distinguer les couleurs – et environ 120 millions de bâtonnets, qui assurent la vision quand l’intensité de la lumière est plus faible, au crépuscule et pendant la nuit notamment. Ces photorécepteurs sont chargés de transformer les photons de la lumière en signaux électrochimiques. Problème : comme toutes les cellules de l’organisme, ces photorécepteurs fonctionnent de moins en moins bien avec l’âge.
Au Royaume-Uni, dont sont originaires les chercheurs, il y a environ 12 millions de personnes de plus de 65 ans. Selon l’Organisation mondiale de la santé, d’ici 2050, la proportion de la population mondiale de plus de 60 ans devrait doubler, pour atteindre 22%. Or, tous ces individus connaîtront un déclin visuel plus ou moins prononcé, en raison du vieillissement rétinien.
Car à partir de 40 ans environ, le processus est inévitable. Une bonne partie de la population présente notamment une presbytie : le cristallin s’épaissit, la vision de près se fait plus difficile et nécessite un dispositif de correction. Et ce n’est pas le pire ! Glaucome, dégénérescence maculaire liée à l’âge, cataracte, sont tout autant de troubles de la vision pouvant apparaître passé un certain âge. « Votre sensibilité rétinienne et votre vision des couleurs sont toutes deux progressivement dégradées », précise le professeur Glen Jeffery, de l’Institut d’ophtalmologie de l’ University College London et auteur principal de l’étude. Avec une population vieillissante, le problème prend de plus en plus d’ampleur.
Le vieillissement des cellules rétiniennes est dû en grande partie aux mitochondries qui s’y trouvent. Ces organites sont en effet chargés d’alimenter les cellules en énergie, plus exactement en adénosine triphosphate (notée ATP). L’ATP est la source d’énergie des cellules chez tous les êtres vivants ; elle est indispensable au métabolisme, à la locomotion, à la division cellulaire ou encore au transport de certaines substances via les membranes biologiques.
De par cette fonction clé, lorsque les mitochondries tendent à décliner, les cellules se dégradent également. Et c’est au niveau des cellules photoréceptrices de la rétine que la densité mitochondriale est la plus élevée. C’est pourquoi la rétine vieillit relativement plus rapidement que les autres organes du corps : au cours de la vie, on y observe une réduction de 70% de l’ATP ! Les photorécepteurs manquent peu à peu d’énergie pour accomplir leur rôle et la vue baisse…
Une longueur d’onde qui fournit de l’énergie
Pour endiguer, voire inverser le phénomène, l’équipe de Jeffery a tenté de réactiver les cellules vieillissantes de la rétine à l’aide de courtes rafales de lumière à grande longueur d’onde. Des recherches antérieures, menées sur des souris, des bourdons et des mouches, ont en effet indiqué que la fonction des photorécepteurs s’améliorait lorsque les yeux étaient exposés à une lumière d’un rouge profond (670 nm de longueur d’onde). Il se trouve que les mitochondries présentent une absorbance spécifique de lumière, qui influence leurs performances. En particulier, explique Jeffery, des longueurs d’onde comprises entre 650 et 1000 nm, une fois absorbées, « boostent » les mitochondries, augmentant ainsi la production d’énergie.
Dans le cadre de leur étude, Jeffery et ses collaborateurs ont recruté 24 personnes (12 hommes et 12 femmes), âgées de 28 à 72 ans, sans aucune maladie oculaire. Les chercheurs ont pris soin d’évaluer la sensibilité initiale des bâtonnets et cônes de chacun. Ils ont ainsi mesuré la sensibilité des bâtonnets en demandant aux participants de détecter de faibles signaux lumineux dans l’obscurité. Puis, la performance des cônes a été évaluée en soumettant les participants à un contraste de couleur : ils devaient identifier des lettres colorées à faible contraste, qui semblaient de plus en plus floues.
Après ces premières mesures, chacun des participants a reçu une petite lampe torche à LED qu’ils avaient pour consigne d’utiliser chez eux, comme suit : on leur a demandé d’observer le faisceau rouge pendant trois minutes, chaque jour, pendant deux semaines. À noter que les yeux pouvaient rester fermés, car la lumière rouge n’est pas filtrée par la paupière. Une fois la période écoulée, ils ont subi les mêmes tests qu’au début de l’expérimentation.
Après comparaison des résultats, il se trouve que l’usage de cette lumière rouge n’a eu aucun impact sur la vision des participants les plus jeunes. En revanche, chez les individus de 40 ans et plus, les chercheurs ont pu remarquer des améliorations significatives, tant au niveau des bâtonnets que des cônes. Concrètement, la capacité à détecter les couleurs s’est améliorée jusqu’à 20 % chez certaines personnes âgées ; ces améliorations étaient encore plus importantes dans la partie bleue du spectre de couleurs, que l’on sait encore plus vulnérable au vieillissement.
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La fonction des bâtonnets s’est elle aussi trouvée renforcée par cet « entraînement » à la lumière rouge, qui semble fournir l’énergie nécessaire à la fonction cellulaire rétinienne. Cette étude prouve ainsi qu’il est possible de pallier la perte d’énergie des photorécepteurs de la rétine – et ainsi, ralentir la baisse de vision associée – à l’aide d’un dispositif aussi simple qu’une petite lampe portative utilisant une longueur d’onde spécifique ! « La technologie est simple et très sûre », souligne Jeffery.
Le spécialiste ajoute que l’appareil a un coût de fabrication avoisinant les 12 £ (soit 13 euros environ), il serait donc véritablement accessible à tous. Plutôt une très bonne nouvelle pour les deux milliards de personnes âgées de 60 ans et plus qui peupleront la planète d’ici 2050…