L’idée vient de Jau Tang, un professeur de l’Université de Wuhan. Aucun combustible n’est requis pour ce moteur à réaction d’un nouveau genre : l’engin n’utilise que de l’air et de l’électricité pour produire du plasma à haute température, sous pression, nécessaire à la propulsion. Tang estime qu’il pourrait être suffisamment puissant pour équiper les grands avions commerciaux, voire des vaisseaux spatiaux…
Un propulseur qui ne nécessite aucun carburant ? Un tel engin relève habituellement du domaine de la science-fiction. Ceci dit, l’invention de Tang et ses collaborateurs, baptisée « Tang Jet » par les médias, pourrait véritablement bouleverser l’industrie aéronautique et spatiale, tout en apportant une part de solution concrète au réchauffement climatique, que Tang qualifie de « menace majeure pour la civilisation humaine ».
Une invention révolutionnaire, qui laisse dubitatif
L’idée de ce propulseur à plasma a germé un peu par hasard : l’éminent professeur, auteur de plusieurs publications scientifiques et lauréat de nombreux prix, relate que l’idée lui est venue alors qu’il tentait de créer des diamants synthétiques. Alors qu’il essayait de cultiver ces diamants avec des micro-ondes, il s’est demandé si cette même technologie pouvait être exploitée pour produire une poussée.
Les moteurs à réaction traditionnels créent une poussée via l’allumage d’un mélange d’air comprimé et de carburant : le mélange brûlant se dilate rapidement et est projeté par l’arrière du véhicule, le poussant vers l’avant. L’objectif de cette nouvelle technologie est bien de se poser comme alternative à ce système, en utilisant simplement de l’air et de l’électricité. Les moteurs à plasma engendrent une poussée en produisant, puis en accélérant des gaz ionisés grâce à des champs électromagnétiques.
Tang estime que le développement pourrait être très rapide : son moteur pourrait propulser des drones d’ici deux ans, puis un avion d’ici une décennie. Si le Tang Jet voit le jour, le monde ne serait clairement plus le même. Mais le projet est-il réalisable ?
Au mois de mai, lorsqu’il a présenté son invention, qui pourrait bouleverser l’aérospatiale, l’actualité scientifique était malheureusement accaparée par la pandémie de coronavirus ou d’autres informations jugées plus importantes. Tang a finalement peu fait parler de lui et son incroyable projet. Il ne baisse pas les bras pour autant et annonce qu’il souhaite également s’attaquer à l’industrie automobile, en concevant des voitures électriques à réaction : « Je pense que le moteur à réaction est plus efficace que le moteur électrique, vous pouvez conduire une voiture à des vitesses beaucoup plus rapides ». Tang souhaite combiner le turboréacteur à plasma avec une turbine pour propulser une voiture. Problème (de taille) : le véhicule émettrait à l’arrière un jet de plasma qui brûlerait tout sur son passage !
Tang a également confié aux médias qu’il était possible d’utiliser sa technologie pour construire des armes à projectiles, des bateaux à moteur et même créer un nouveau type de poêle pour cuisiner ! Le scientifique a d’ailleurs déclaré qu’il avait déjà construit un prototype de cuisinière alimenté par une torche à plasma à micro-ondes ; l’appareil est cependant trop assourdissant (le bruit serait semblable à un coup de foudre permanent !).
À noter que les propulseurs à plasma, tel que celui qui alimenterait le Tang Jet, existent depuis un certain temps. La NASA a lancé pour la première fois un satellite équipé de propulseurs à plasma en 2006, mais ses capacités sont loin de ce que Tang envisage aujourd’hui. Les scientifiques ont longtemps rêvé d’un avion propulsé par plasma, mais chaque tentative s’est rapidement heurtée aux limites technologiques. En 2017, des chercheurs de l’Université technique de Berlin ont ainsi tenté de développer un propulseur similaire, mais le résultat de leur travail n’a jamais dépassé le cadre de leur laboratoire. En réalité, si la théorie de la propulsion par plasma est solide, les choses se compliquent dès qu’il s’agit de la mettre en pratique et d’élaborer un véhicule qui l’exploite efficacement.
De multiples obstacles à surmonter
Selon Tang, la réalisation d’un turboréacteur à plasma complet coûterait beaucoup d’argent, de temps et d’énergie. N’ayant pas les moyens de financer lui-même la construction d’un prototype, il espère qu’il finira par convaincre des chefs d’État ou des grands comptes de l’industrie pour mener à bien son projet : « Un tel investissement dépasse nos ressources actuelles. Ces tâches devraient être confiées aux industries aérospatiales ou aux agences gouvernementales ».
Christopher Combs, chercheur en aérodynamique à l’Université du Texas à San Antonio, demeure toutefois sceptique vis-à-vis du concept proposé par Tang. Selon lui, il est peu probable qu’il atteigne la taille requise pour soulever un avion. En d’autres termes, les constructeurs potentiels seront confrontés aux mêmes défis (probablement insurmontables) que par le passé, lorsque sont apparus les premiers projets de propulseurs à plasma.
Le prototype actuel de Tang ne produit qu’environ 10 newtons (N) de poussée, soit la force nécessaire à une fusée de modélisme de taille moyenne. Or, faire voler un avion de ligne de taille moyenne requiert une poussée 20’000 fois plus importante ! Et même s’il était possible de faire évoluer le concept pour obtenir la force requise, reste la question du stockage de l’énergie… En matière de rapport énergie/poids, les combustibles fossiles s’avèrent beaucoup plus rentables que les batteries. Et l’engin de Tang nécessiterait a priori beaucoup de puissance…
Selon l’article de Tang publié au mois de mai dans AIP Advances, son prototype de propulseur produit environ 28 N de poussée par kilowatt. À titre de comparaison, les moteurs de l’Airbus A320 produisent environ 220’000 N de poussée, ce qui signifie qu’un appareil de taille comparable équipé du Tang Jet nécessiterait plus de 7800 kilowatts de puissance. Pour atteindre cette quantité, il faudrait plus de 570 batteries Tesla Powerwall 2 pour assurer une seule heure de vol (et la charge utile de l’A320 ne peut dépasser 130 de ces batteries environ…). En bref, aucune technologie actuelle de batterie ne pourrait fournir suffisamment de puissance…
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Et c’est le principal frein à la réalisation du projet. Tang mise néanmoins sur l’amélioration de la technologie des batteries au cours des prochaines années ; les chercheurs de l’Université de Berlin évoquaient quant à eux la fission nucléaire. En effet, il existe des réacteurs à fission nucléaire compacts, qui produisent suffisamment de puissance et pèsent assez peu pour pouvoir être installés dans un avion ou une fusée. Mais qui dit fission nucléaire, dit risque pour la sécurité publique et pour l’environnement…
Autre défi à relever pour mettre en œuvre le projet : l’acheminement de l’électricité aux propulseurs. Cela nécessiterait en effet des matériaux supraconducteurs, qui n’existent pas encore… « Déplacer et contrôler les mégawatts du réacteur au jet est un énorme défi. Vous devez utiliser de gros fils de cuivre épais, ce qui ajoute beaucoup de poids », souligne Michael Heil, ancien ingénieur de l’aérospatiale et de la propulsion. Combs et Heil semblent tous deux douter de la faisabilité du projet, du moins, avec les connaissances et les technologies actuelles. Les deux experts ont toutefois déclaré qu’ils étaient fascinés par les travaux de Tang et qu’ils espèrent que les progrès futurs permettront d’envisager pour de bon le Tang Jet.