Selon une étude réalisée par neuroimagerie, la prise d’une unique dose d’ayahuasca pourrait avoir une action sur l’humeur pendant une longue durée en agissant sur deux régions du cerveau. Un effet qui pourrait s’avérer bénéfique contre les troubles neuropsychiatriques.
Concocté depuis des millénaires par les tribus amazoniennes pour ses propriétés hallucinogènes, l’ayahuasca est un breuvage enthéogène préparé à partir de feuilles de l’arbuste Psychotria viridis et de l’écorce de la vigne Banisteriopsis caapi. Les chamanes des tribus en fournissent à leurs patients pour entrer en transe afin de « communiquer avec les esprits », souvent à des fins thérapeutiques.
Les effets psychédéliques sont dus à la présence d’inhibiteurs de la monoamine-oxydase, qui augmenterait le niveau de sérotonine et de dimethyltryptamine (DMT), qui agit de manière plus ou moins similaire à certaines molécules présentes dans le LSD et la mescaline.
Des chercheurs se sont intéressés aux effets à long terme du mélange sur l’humeur, qui pourrait être l’une des explications des effets bénéfiques clamés par les Amazoniens. Lorenzo Pasquini, neuroscientifique clinique travaillant au Centre de mémoire et du vieillissement de l’Université de Californie, est le principal auteur de l’étude.
« En tant que neuroscientifique informatique, je suis particulièrement intéressé par le rôle que jouent les circuits neuronaux spécifiques dans le comportement socioémotionnel. Les substances psychédéliques et l’état de conscience altéré associé provoqué par leur action sérotoninergique nous offrent une nouvelle façon d’étudier comment ces systèmes neuronaux soutiennent les émotions humaines et le comportement social », énonce-t-il.
Son équipe a distribué une petite dose d’ayahuasca ou de placebo à 50 volontaires sains qui n’avaient jamais consommé de substances psychédéliques. Le jour avant et après l’administration, ils ont effectué une imagerie par résonance magnétique (IRM) de leur cerveau, car pour examiner les changements neurologiques causés à long terme par l’ayahuasca, ils ne devaient pas observer la phase aiguë (jour de l’administration), mais les effets subaigus, qui advenaient un jour après la session.
« L’expérience psychédélique induite par l’ayahuasca a un effet durable sur l’organisation fonctionnelle des réseaux cérébraux soutenant les fonctions cognitives et affectives d’ordre supérieur », déclare Pasquini.
Cette conclusion provient de la comparaison entre les participants qui ont pris de l’ayahuasca et ceux qui ont eu un placebo. Dans le premier groupe, la connectivité du cortex cingulaire antérieur avec le réseau de saillance (celui qui détermine lequel des nombreux stimuli externes est le plus significatif) a augmenté, tandis qu’elle a diminué entre le cortex cingulaire postérieur et le réseau du mode par défaut (actif lorsque le cerveau est au repos mais éveillé). Une augmentation a été également notée entre le réseau de saillance et le réseau du mode par défaut.
« Nous avons constaté que l’ayahuasca a un impact sur deux réseaux cérébraux importants qui soutiennent les fonctions intéroceptives (traitement des sensations corporelles, comme celles des intestins et d’autres organes internes), affectives et motivationnelles, tandis que les réseaux sensoriels primaires (visuel, sensorimoteur) n’étaient pas affectés un jour après la séance », déclare Pasquini. Il ajoute que les changements fonctionnels de ces deux réseaux pendant la séance aiguë ont permis de mettre en lien les changements cérébraux durables et les états de conscience modifiés provoqués par l’ayahuasca. « Ces résultats peuvent fournir un cadre conceptuel pour explorer davantage le potentiel thérapeutique des substances psychédéliques dans les troubles de l’humeur et affectifs ».
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Des précautions à vérifier
Bien évidemment, leur étude inclut certaines limites, en particulier au niveau du nombre faible de participants, ainsi que pour l’intensité du champ magnétique de l’IRM, qui a affecté les résultats statistiques. La réplication de l’expérience dans une installation à la pointe de la technologie et avec un plus grand nombre de volontaires aurait permis d’obtenir des résultats plus précis.
Les chercheurs désirent à présent en savoir plus sur l’usage de l’ayahuasca dans des thérapies psychédéliques pour des cas sévères de dépression. La concoction pourrait permettre de développer d’autres approches alternatives pour soigner les troubles neuropsychiatriques.
Mais ils font remarquer qu’il est tout d’abord important de déterminer clairement les différents paramètres, comme l’environnement où l’expérience devra se dérouler, ou encore le dosage optimal (l’ayahuasca peut être mortel en cas d’overdose). De rares cas d’aggravation des troubles dépressifs avaient été décrits dans le passé, mais uniquement après de mauvaises administrations.
« Le domaine commence tout juste à comprendre l’impact que les substances psychédéliques et l’état de conscience altéré associé ont sur la fonction cérébrale et l’affect, non seulement pendant la phase aiguë, mais aussi à long terme », déclare Pasquini.