Des scientifiques de l’Université de technologie de Nanyang (NTU), à Singapour, ont mis au point un nouveau type de fenêtre capable de réguler la transmission de la lumière solaire tout en piégeant la chaleur (qui peut être libérée ultérieurement), contribuant ainsi à réduire la consommation énergétique des habitations.
Les fenêtres sont un élément clé de la conception d’un bâtiment, mais elles sont également la partie la plus énergivore. En raison de la facilité avec laquelle la chaleur peut être transférée à travers le verre, les fenêtres ont un impact significatif sur les coûts de chauffage et de climatisation d’un bâtiment. Selon un rapport de 2009 des Nations Unies, les bâtiments représentent 40% de la consommation mondiale d’énergie et les fenêtres sont responsables de la moitié de cette consommation.
Près de 45% d’énergie consommée en moins
L’émissivité désigne la capacité d’une surface à absorber, puis à émettre un rayonnement thermique ; ainsi, plus l’émissivité est élevée, plus la chaleur s’échappe. Les matériaux sont caractérisés par un coefficient d’émissivité compris entre 0 et 1 ; les objets non métalliques et non opaques, comme les fenêtres, sont généralement à haute émissivité. Un vitrage standard a un coefficient d’émissivité de 0,84 environ.
Les vitres basse émissivité qui existent aujourd’hui ont une émissivité de 0,04. Autrement dit, elles ne laissent échapper que 4% de la chaleur qu’elles reçoivent. Un avantage certain en hiver ! Pour arriver à ce résultat, les fabricants déposent une fine couche (deux couches dans le cas d’un triple vitrage) d’oxyde métallique invisible (or, argent, bismuth) sur la surface intérieure de la fenêtre. Cette technique permet de réduire la quantité de lumière infrarouge entrant et sortant d’un bâtiment ; elle entraîne ainsi une moindre consommation de chauffage et de climatisation.
Mais l’inconvénient de cette technologie est qu’elle transmet aussi moins de lumière visible. Or, cette composante majeure de la lumière solaire contribue largement à chauffer les bâtiments. De plus, ces fenêtres à faible émissivité sont montrées du doigt par certains médecins, qui estiment qu’elles contribuent à la dépression saisonnière (favorisée par le manque de lumière).
La fenêtre intelligente thermoréactive développée par les chercheurs singapouriens a été conçue en injectant un liquide à base d’hydrogel entre des panneaux en verre. Par rapport aux fenêtres traditionnelles, cette technologie permettrait de réduire la consommation d’énergie de chauffage, de ventilation et de climatisation des bâtiments de près de 45% ! En outre, elle s’avère 30% plus économe en énergie que le verre à faible émissivité actuellement disponible dans le commerce.
Mais cette fenêtre ne permet pas seulement de réaliser des économies d’énergie ; elle est aussi moins onéreuse à produire. Comparativement à la technique utilisant un dépôt métallique, il est particulièrement aisé d’injecter le liquide entre deux panneaux de verre et ce, de façon uniforme. Par conséquent, ce type de fenêtre peut être créé dans n’importe quelle forme et taille.
Une fenêtre qui stocke la chaleur et atténue le bruit
Pour contourner les problèmes inhérents aux autres modèles de fenêtres à faible émissivité, les chercheurs se sont tournés vers l’eau, capable d’absorber une grande quantité de chaleur avant qu’elle ne commence à chauffer — un phénomène connu sous le nom de capacité thermique massique élevée ; pour l’eau, cette valeur s’élève à 4,2 kJ K-1 kg-1. Ils ont ainsi élaboré un mélange composé d’hydrogel, d’eau et d’un stabilisant.
Leurs expérimentations ont montré que ce mélange pouvait réduire efficacement la consommation d’énergie dans une variété de climats différents, en raison de sa capacité à répondre au changement de température. Grâce à l’hydrogel, le mélange devient opaque lorsqu’il est exposé à la chaleur — bloquant ainsi la lumière du soleil — et, lorsqu’il est froid, revient à son état transparent d’origine. En outre, la capacité thermique élevée de l’eau permet de stocker une grande quantité d’énergie thermique ; cette chaleur emmagasinée peut ensuite être libérée pendant la nuit, lorsque la température baisse.
Les chercheurs de NTU ont testé leur concept de fenêtre en conditions réelles, dans des environnements chauds (à Singapour et Guangzhou) et froids (à Pékin). Le test réalisé à Singapour a révélé qu’au plus chaud de la journée (à midi), la fenêtre intelligente avait une température beaucoup plus basse (50 °C) qu’une fenêtre en verre standard (84 °C). Les tests de Pékin ont montré qu’une pièce équipée de ce type de fenêtre consommait 11% d’énergie en moins pour maintenir la même température qu’une pièce équipée d’une fenêtre classique.
De même, des simulations utilisant un modèle de bâtiment réel et les données météorologiques de quatre villes (Shanghai, Las Vegas, Riyad et Singapour) ont révélé que la fenêtre à base de liquide offrait les meilleures performances en matière d’économie d’énergie dans ces quatre villes, par rapport aux fenêtres en verre ordinaires et aux fenêtres à faible émissivité.
L’équipe a également déterminé le moment de la journée où le stockage d’énergie thermique était à son maximum. Dans le cas d’un vitrage standard, ce pic de température avait lieu à 12 heures ; avec la fenêtre intelligente, ce pic était décalé à 14 heures. Or, si ce décalage se traduit par un décalage équivalent de la durée pendant laquelle un bâtiment a besoin d’énergie électrique pour refroidir ou réchauffer le bâtiment, il devrait logiquement entraîner une baisse des tarifs énergétiques pour les utilisateurs.
Enfin, des tests d’insonorisation ont suggéré que ce nouveau concept de fenêtre réduisait le bruit de 15% plus efficacement que les fenêtres à double vitrage. « Les fenêtres à double vitrage antibruit sont constituées de deux morceaux de verre séparés par une lame d’air. Notre fenêtre est conçue de la même manière, mais à la place de l’air, nous remplissons l’espace avec le liquide à base d’hydrogel, ce qui augmente l’isolation phonique entre les panneaux de verre, offrant ainsi un avantage supplémentaire que l’on ne trouve pas couramment dans les fenêtres à économie d’énergie actuelles », explique Wang Shancheng, chargé de projet à l’École des sciences et de l’ingénierie des matériaux et co-auteur principal de l’étude décrivant cette innovation.
Une fenêtre qui laisse passer la lumière, capable de réguler la température et dotée de propriétés antibruit, voilà un projet qui s’inscrit complètement dans les objectifs du NTU Smart Campus, qui vise à développer des solutions technologiquement avancées pour un avenir durable. L’équipe cherche à présent à collaborer avec des partenaires de l’industrie pour commercialiser sa fenêtre intelligente.
Cette vidéo proposée par la NTU revient sur la composition et les propriétés uniques de cette fenêtre d’un nouveau genre :