Des chercheurs japonais ont fait une véritable percée dans le domaine de la lutte contre le cancer. Ils ont découvert une méthode de synthèse de composés organiques quatre fois plus mortels pour les cellules cancéreuses (que pour les cellules saines), permettant ainsi de préserver ces dernières (qui résistent au traitement). Une avancée qui pourrait mener au développement de nouveaux médicaments anticancéreux basés sur des composés naturels plus efficaces, avec des effets secondaires minimes.
Au cours des dernières décennies, le cancer est progressivement devenu la deuxième cause de décès dans le monde (une personne sur six). Cette position préoccupante lui a conféré une place unique et omniprésente dans la culture mondiale, à tel point que la recherche d’un « remède universel » contre le cancer est considérée comme l’une des quêtes les plus nobles de la médecine. Malheureusement, l’humanité n’y est pas encore parvenue ; des milliers d’études sont en cours à travers le monde pour explorer tous les aspects du cancer, en essayant de trouver son « point faible ».
Un groupe de chercheurs de l’Université des sciences de Tokyo, dirigé par le professeur Kouji Kuramochi, s’est également consacré à cette mission. Dans leur recherche d’une nouvelle arme contre le cancer, ils se sont tournés vers un ensemble spécifique de composés organiques appelés « phénazines ».
La cytotoxicité pour éradiquer le cancer
Les phénazines sont un grand groupe « d’hétérocycles » contenant de l’azote (ou des composés ayant une structure cyclique composée d’au moins deux éléments différents). On trouve plus d’une centaine de composés de phénazine dans la nature, et plus de 6000 peuvent être « synthétisés ». Parmi ceux-ci, les N-alkylphénazine-1-ones (phénazinones) constituent un groupe mineur de phénazines, dont on sait qu’elles ont des activités antibactériennes, antifongiques et cytotoxiques. Et la cytotoxicité est une propriété intéressante dans la recherche sur le cancer, car si nous pouvons « diriger » les composés cytotoxiques pour qu’ils agissent contre les cellules cancéreuses, nous pouvons théoriquement éliminer le cancer. Les détails de leur étude ont été publiés dans la revue American Chemical Society Omega.
« La pyocyanine, la lavanducyanine, les dérivés de la lavanducyanine WS-9659 A, WS-9659 B, et les marinocyanines A et B, tous des types différents de phénazines, présentent des activités cytotoxiques, contre les cellules cancéreuses. Cependant, ces composés sont difficiles à obtenir à partir de leurs sources naturelles telles que les bactéries », rapporte le professeur Kuramochi.
Déterminés à en savoir plus et à exploiter leurs propriétés pour de bon, les chercheurs ont expérimenté la synthèse de ces composés par plusieurs méthodes. Pour cela, ils ont procédé à « l’halogénation » (le processus d’ajout d’halogènes comme le chlore et le brome) et à la « condensation oxydative » (l’ajout d’un oxydant et d’une molécule d’eau) sur divers composés.
Leur stratégie a permis d’obtenir une synthèse très efficace et sélective des N-alkyl-2-halophénazin-1-ones. Parmi tous les composés synthétisés, ils ont constaté que la 2-chloropyocyanine présentait une cytotoxicité élevée à l’égard des cellules cancéreuses du poumon. Leurs conclusions leur ont permis d’expliquer la logistique de leur étude et de leur procédé en détail.
Le professeur Kuramochi estime que leur découverte a également un effet bénéfique pour l’environnement. « Nous avons mis au point une méthode de synthèse très polyvalente, simple et applicable à la synthèse de nombreux produits naturels », déclare-t-il. « Comme la réaction de couplage oxydatif se fait uniquement avec de l’oxygène, il s’agit d’une méthode synthétique respectueuse de l’environnement ».
De plus, cette nouvelle technique permet de surmonter l’un des principaux inconvénients des techniques existantes. La chloration traditionnelle des N-alkylphénazin-1-ones se produit de manière sélective, ce qui signifie que les composés qui se forment à partir de cette réaction sont des phénazinones non souhaitées. Cette nouvelle technique de synthèse permet de surmonter ce problème et, pour la première fois, de produire synthétiquement les phénazinones d’intérêt, comme le WS-9659 B.
Kuramochi et son équipe sont impatients de vérifier les effets des phénazinones dans le cadre d’études sur les animaux et d’essais cliniques. Les médicaments ayant peu d’effets sur les cellules saines et qui agissent de manière sélective sur les cellules cancéreuses sont des candidats prometteurs et sur lesquels il faut miser dans la lutte contre le cancer. Ces nouveaux composés sont plus de quatre fois plus « sélectivement toxiques » pour les cellules cancéreuses que pour les cellules normales.
Selon les chercheurs, seul le temps pourra nous dire si cette découverte est vraiment une nouvelle porte qui s’ouvre sur l’insaisissable remède contre le cancer, mais c’est « un pas sûr et définitif dans la bonne direction ». Cette étude est non seulement importante pour l’analyse des activités biologiques moléculaires et cellulaires des phénazinones et de leurs dérivés, mais aussi pour la conception de dérivés cytotoxiques plus puissants et plus sélectifs contre les cellules cancéreuses. Des études supplémentaires visant à étudier les mécanismes d’action de ces composés sont déjà en cours.