Après quelques cas de COVID-19 détectés au sein d’élevages de visons, le Danemark a décidé d’abattre tout son cheptel. Ce 19 novembre, à minuit, tous les animaux devront avoir été supprimés. Mais d’autres pays signalent aujourd’hui des mutations du SARS-CoV-2, liées au vison, détectées chez l’Homme : les Pays-Bas, l’Afrique du Sud, la Suisse, les îles Féroé, la Russie et les États-Unis.
L’abattage danois a été motivé par une recherche de l’organisme de santé publique du Danemark, le Statens Serum Institut (SSI), révélant qu’un variant du coronavirus chez le vison, appelé C5 (pour Cluster 5), était plus difficile à neutraliser pour les anticorps ; ce variant présentait en outre une combinaison de mutations jamais observées auparavant. Par conséquent, il constituait une menace pour l’efficacité du futur vaccin. Ainsi, par mesure de précaution, le premier producteur de fourrure de vison au monde a opté pour une solution radicale.
Jusqu’à présent, il n’y avait eu aucun rapport généralisé de variantes de vison chez l’Homme en dehors du Danemark. Mais la base de données GISAID (Global Initiative on Sharing Avian Influenza Data) — une initiative internationale conçue à l’origine pour le partage des données concernant le virus de la grippe aviaire, qui a récemment étendu son champ d’action au SARS-CoV-2 — a mis en évidence des signes de variantes issues du vison dans d’autres pays. Les données de séquençage partagées par les scientifiques du monde entier ont permis d’avoir une vision bien plus précise de la situation.
Plus de 300 variantes identifiées au Danemark
Les visons ont été contaminés à la suite d’une exposition à des personnes infectées. Ces animaux peuvent ainsi servir de réservoir pour le SARS-CoV-2, en se transmettant le virus entre eux, et représentent par conséquent un risque de propagation du virus du vison à l’Homme. Une rétrotransmission peut également se produire. Or, lorsque les virus circulent entre les populations humaines et animales, des modifications génétiques peuvent se produire, mettant en péril l’efficacité des traitements et vaccins conçus pour la forme originelle du virus.
François Balloux, directeur de l’Institut de génétique de l’University College London, explique que des variants du virus avaient bien été détectés chez le vison dans les sept pays susmentionnés, il y a quelque temps déjà, mais les chercheurs ne disposaient que d’une vingtaine de génomes de chaque variante. Grâce aux récentes données danoises — quelque 6000 séquences génomiques supplémentaires —, les scientifiques ont pu obtenir une vision bien plus large de la situation : une mutation (Y453F) a ainsi été trouvée à plusieurs reprises chez le vison aux Pays-Bas, ainsi que dans plus de 300 séquences du génome humain de SARS-CoV-2 à travers le monde !
Plus précisément, le professeur Seshadri Vasan, de l’Université de York, qui s’est livré à l’analyse des données, a pu constater que le Danemark comptait 329 séquences de variantes F, correspondant à tout autant d’individus. Les Pays-Bas en comptent six, l’Afrique du Sud et la Suisse en ont deux ; une seule variante a été identifiée aux îles Féroé, en Russie et aux États-Unis (dans l’État de l’Utah). Quelles conséquences pour l’Homme ? Les scientifiques de la GISAID expliquent que ces mutations proviennent probablement de changements adaptatifs favorisant l’infection virale et la transmission chez le vison ; en revanche, il est peu probable qu’ils fournissent des avantages similaires au virus chez l’Homme.
De même, pour François Balloux, cette mutation n’est pas forcément dangereuse, mais selon lui, son existence justifie à elle seule que l’on abatte l’ensemble des visons d’élevage. Le spécialiste souligne en effet que l’existence d’hôtes-réservoirs en grand nombre signifie forcément plus d’infections potentielles chez les humains. Or, le Danemark compte trois fois plus de visons que d’êtres humains sur son territoire ! La prudence est donc de mise… « Il y a toujours de très bonnes raisons de se débarrasser du réservoir de visons. Nous n’en avons tout simplement pas besoin », résume Balloux.
Comment cette variante danoise a-t-elle pu se propager dans le monde ? Certaines des variantes F humaines et de vison provenaient d’échantillons prélevés au Danemark au mois de juin. De ce fait, Vasan suppose que les mouvements de personnes, d’animaux ou de marchandises ont pu propager cette variante à d’autres pays. Il est cependant impossible de l’affirmer, car certains échantillons collectés n’ont pas été datés et les historiques de déplacements des patients sont incomplets.
Pas de risque sérieux pour le moment
Les virus sont connus pour muter. Les virus de la grippe (A, B et C), par exemple, évoluent en permanence. Ils subissent des mutations de gènes entraînant des modifications mineures (on parle de « glissements antigéniques »), mais parfois aussi des réassortiments de gènes, ce qui peut causer des modifications plus importantes (on parle de « cassure antigénique ») ; les variations saisonnières du virus de la grippe sont dues aux glissements antigéniques, qui nécessitent d’adapter le vaccin chaque année.
Les variants ne sont pas nécessairement un problème. Joanne Santini, microbiologiste à l’University College London, se veut rassurante sur ce point. Elle estime que le variant Y453F dans la protéine de pointe du SARS-CoV-2 est « peu susceptible de présenter un risque sérieux pour l’efficacité attendue des vaccins candidats actuels, ou de constituer une nouvelle menace pour la santé publique ». La spécialiste souligne par ailleurs que nous ne savons pas encore à ce jour si cette mutation du SARS-CoV-2 s’est produite d’abord chez le vison ou d’abord chez l’Homme.
En revanche, la multiplication des mutations pourrait s’avérer plus problématique et potentiellement dangereuse. Plusieurs variantes supplémentaires de la protéine de pointe pourraient avoir un impact sur le degré d’infection du virus pour les humains, comme pour les animaux. Et dans ce cas, l’efficacité des futurs vaccins serait mise en péril.
À ce jour, seul le Danemark a ordonné l’abattage des visons dans tout le pays — ce qui n’a pas manqué de provoquer de vives réactions politiques, conduisant à la démission du ministre de l’Agriculture, Mogens Jensen. D’autres pays pratiquant l’élevage, notamment les Pays-Bas, l’Espagne et la Grèce, abattent les animaux infectés uniquement. En Pologne, qui possède quelque 350 fermes de visons représentant au total environ 6 millions d’animaux, des tests de dépistage obligatoires des cheptels viennent d’être mis en place ; les propriétaires agricoles locaux craignent à présent que ces tests ne conduisent au scénario danois.
Car sur le plan commercial, l’abattage des cheptels danois a de lourdes conséquences : le coût inhérent à la fermeture des fermes de visons est estimé à environ 3 milliards de couronnes danoises (soit 400 millions d’euros). Kopenhagen Fur, la plus grande maison de vente aux enchères de fourrures au monde, a quant à elle annoncé un « arrêt contrôlé » de ses activités sur les trois prochaines années.