Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’UC San Francisco montre que quelques doses d’un médicament expérimental, nommé ISRIB, permettent d’inverser les baisses de mémoire et de flexibilité mentale liées à l’âge chez la souris. Ce médicament a non seulement amélioré rapidement les capacités cognitives des souris âgées, mais leurs cellules cérébrales et immunitaires avaient également rajeuni.
Lors de précédentes expérimentations animales, le médicament en question avait déjà montré des résultats encourageants, notamment pour la restauration de la fonction cérébrale après un traumatisme crânien. Il s’est avéré tout aussi efficace pour inverser les troubles cognitifs inhérents au syndrome de Down (trisomie 21), pour prévenir la perte auditive liée au bruit, ou encore combattre certains types de cancer. Cette nouvelle étude marque un nouveau pas vers la compréhension du mode d’action de l’ISRIB.
Selon les chercheurs, le rajeunissement observé ici chez les souris montre pour la première fois qu’une grande partie des pertes cognitives liées à l’âge est due à une sorte de « blocage » physiologique et non à une dégradation permanente des cellules. Or, ce blocage est réversible ! « Les données suggèrent que le cerveau âgé n’a pas définitivement perdu ses capacités cognitives essentielles. […] [Elles] sont toujours là, mais ont été en quelque sorte bloquées par un cercle vicieux de stress cellulaire », explique Peter Walter, professeur au Département de biochimie et biophysique de l’UCSF et chercheur de l’Institut médical Howard Hughes.
Des cellules piégées par un mécanisme de sécurité
Avec l’augmentation de l’espérance de vie, le déclin cognitif lié à l’âge devient une préoccupation croissante, même en l’absence de maladie neurodégénérative reconnaissable. Pouvoir inverser le phénomène serait donc une avancée majeure pour le secteur médical. Or, les résultats publiés par les chercheurs dans la revue eLife montrent que l’ISRIB peut véritablement libérer les capacités cognitives qui se retrouvent piégées par le stress cellulaire.
L’ISRIB, pour Integrated stress response inhibitor, a été découvert en 2013 par le laboratoire de Peter Walter. Le scientifique étudie depuis de nombreuses années les réponses cellulaires au stress. Le phénomène se produit lorsqu’un dysfonctionnement au niveau de la production des protéines est détecté au sein d’une cellule, ce qui peut être le signe d’une infection virale ou d’une mutation génétique favorisant l’apparition d’un cancer. Le mécanisme d’ISR réagit alors en limitant la synthèse des protéines de la cellule. Il ne s’agit en fait que d’un mécanisme de sécurité essentiel pour l’organisme, qui garantit l’intégrité des cellules.
Mais Walter et ses collaborateurs ont découvert que ce mécanisme pouvait rester actif en permanence, et de ce fait les cellules ne peuvent plus accomplir leurs tâches. Cela peut entraîner de graves problèmes, notamment lorsque la zone cérébrale est concernée. Leurs études ont en effet révélé que des patients ayant subi un traumatisme crânien affichaient des déficits cognitifs et comportementaux persistants liés à une activation chronique de l’ISR.
Lorsqu’ils ont constaté les effets positifs de l’inhibiteur d’ISR (ISRIB) sur la cognition des animaux atteints de lésions cérébrales traumatiques, Walter et son équipe se sont ainsi demandés si l’ISRIB pouvait avoir le même effet sur le déclin cognitif purement lié à l’âge. Le processus de vieillissement est connu pour compromettre la production de protéines cellulaires dans l’organisme. Au fil du temps, les facteurs de stress tels que l’inflammation chronique s’accumulent et finissent par user les cellules, conduisant potentiellement à une activation généralisée des ISR.
Un traitement potentiel pour de nombreuses maladies neurologiques
Dans le cadre de leur expérience, les chercheurs ont entraîné des souris plus ou moins âgées à s’échapper d’un labyrinthe d’eau, via une plateforme cachée. Certains animaux âgés ont reçu de petites doses quotidiennes d’ISRIB pendant le processus de formation, qui a duré trois jours ; ceux-ci ont pu accomplir la tâche, tout comme les jeunes souris, mais bien mieux que les animaux du même âge qui n’avaient pas bénéficié du médicament.
L’équipe a ensuite entrepris de tester la durée de ce rajeunissement cognitif et de vérifier si cet effet pouvait se généraliser à d’autres compétences cognitives. Ainsi, plusieurs semaines après le premier traitement à l’ISRIB, ils ont soumis les mêmes souris à un test de flexibilité mentale : il s’agissait cette fois de trouver la sortie d’un labyrinthe, qui variait chaque jour. Résultat : les souris âgées ayant reçu des doses d’ISRIB trois semaines auparavant ont à nouveau réalisé des performances équivalentes aux jeunes souris.
Pour comprendre le rôle de l’ISRIB dans l’amélioration des fonctions cérébrales, les chercheurs ont analysé l’activité et l’anatomie des cellules de l’hippocampe des souris — une région cérébrale liée à l’apprentissage et à la mémoire — un jour après leur avoir administré une dose du médicament. Il s’avère que les signes de vieillissement neuronal avaient disparu du jour au lendemain ! L’activité neuronale était devenue plus vive, plus sensible à la stimulation ; les neurones affichaient des connexions plus robustes et plus stables avec les neurones environnants, ce que l’on observe habituellement chez les sujets plus jeunes.
Parmi leurs autres découvertes, les scientifiques ont également constaté que l’ISRIB modifiait la fonction des cellules T du système immunitaire, qui elles aussi, se détériorent avec l’âge. Ceci suggère que le médicament pourrait potentiellement être envisagé comme traitement de certaines maladies chroniques, telles que la maladie d’Alzheimer ou le diabète, des pathologies associées à une inflammation accrue causée par un système immunitaire défaillant.
L’ISRIB peut donc avec des implications à grande échelle dans le traitement des maladies neurologiques. L’activation chronique des réponses cellulaires au stress joue en effet un rôle dans de nombreuses pathologies ; selon Walter et ses collègues, la démence frontotemporale, la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, ou encore le syndrome de Down sont tout autant de maladies neurologiques qui pourraient potentiellement être traitées avec un inhibiteur d’ISR.
Étant donné qu’il s’agit ici d’interférer avec un mécanisme critique de sécurité cellulaire, d’aucuns pourraient craindre des effets secondaires néfastes. Ceci dit, les chercheurs n’en ont observé aucun lors de toutes leurs études. Et selon Walter, de tels effets sont peu probables : pour commencer, seules quelques doses d’ISRIB suffisent à désactiver l’ISR chronique, suite à quoi le mécanisme se déroule normalement. Ensuite, l’ISRIB n’a quasiment aucun effet sur les cellules qui mobilisent l’ISR sous sa forme la plus puissante (lors d’une infection virale par exemple). « Cela semble presque trop beau pour être vrai, mais avec ISRIB, il semble que nous ayons trouvé le bon endroit pour manipuler l’ISR avec une fenêtre thérapeutique idéale », conclut l’expert avec enthousiasme.