Depuis la découverte de la première exoplanète dans les années 1990, plus de 4300 de ces mondes lointains ont été détectés jusqu’à présent. Et parmi cet impressionnant catalogue cosmique, toutes les exoplanètes ne ressemblent pas aux planètes familières de notre système solaire. C’est en explorant un système stellaire double situé à 336 années-lumière que des astrophysiciens ont détecté HD 106906 b. Cette exoplanète semblable à Jupiter orbite extrêmement loin autour de ses étoiles hôtes et poursuit une trajectoire orbitale très inhabituelle. Un phénomène qui pourrait offrir de précieuses informations aux astronomes concernant la recherche d’une hypothétique planète Neuf, dont les caractéristiques orbitales seraient relativement similaires à HD 106906 b.
C’est la première fois que des astronomes ont pu mesurer le mouvement d’une planète massive semblable à Jupiter orbitant très loin de ses étoiles hôtes et du disque circumstellaire. Ce disque est similaire à la ceinture de Kuiper, composée de petits corps glacés au-delà de Neptune. Dans notre système solaire, la potentielle planète Neuf se trouverait également loin de la ceinture de Kuiper sur une orbite tout aussi étrange. Bien que la recherche d’une planète Neuf se poursuive, cette découverte est la preuve que de telles orbites étranges sont possibles.
« Ce système établit une comparaison potentiellement unique avec notre système solaire. Il est très largement séparé de ses étoiles hôtes sur une orbite excentrique et fortement désalignée, tout comme cela est prédit pour la planète Neuf. Cela soulève la question de savoir comment ces planètes se sont formées et ont évolué pour aboutir à leur configuration actuelle », explique l’astrophysicienne Meiji Nguyen, de l’Université de Californie.
Une planète aux caractéristiques orbitales inhabituelles
L’exoplanète de masse 11 fois plus grande que celle de Jupiter, appelée HD 106906 b, a été découverte en 2013 avec les télescopes Magellan à l’observatoire de Las Campanas dans le désert d’Atacama, au Chili. Cependant, les astronomes ne savaient rien de l’orbite de la planète. Cela nécessitait quelque chose que seul le télescope spatial Hubble pouvait faire : collecter des mesures très précises du mouvement planétaire sur 14 ans avec une précision extraordinaire. L’équipe a utilisé les données des archives Hubble, qui ont fourni des preuves de ce mouvement.
L’exoplanète réside extrêmement loin de sa paire de jeunes étoiles hôtes — plus de 730 fois la distance de la Terre au Soleil, soit près de 68 milliards de kilomètres. Cette large séparation a rendu extrêmement difficile la détermination de l’orbite longue de 15’000 ans dans un laps de temps aussi court d’observation. La planète évolue très lentement le long de son orbite, étant donné la faible attraction gravitationnelle de ses étoiles mères très éloignées.
L’équipe d’Hubble a été surprise de constater que le monde éloigné possède une orbite extrême à l’alignement inhabituel, allongée et externe au disque de débris qui entoure les étoiles hôtes jumelles. Le disque de débris lui-même est très inhabituel, peut-être en raison du tiraillement gravitationnel de la planète.
HD 106906 b : expulsée par les étoiles hôtes, stabilisée par des étoiles extérieures
La théorie dominante est que la planète s’est formée beaucoup plus près de ses étoiles, environ trois fois la distance entre la Terre et le Soleil. Mais la traînée dans le disque de gaz du système a provoqué la désintégration de l’orbite de la planète, la forçant à migrer vers l’intérieur, en direction de la paire stellaire. Les effets gravitationnels des étoiles jumelles tourbillonnantes l’ont ensuite projetée sur une orbite excentrique qui l’a presque jetée hors du système et dans le vide de l’espace interstellaire. Ensuite, une étoile passant à l’extérieur du système a stabilisé l’orbite de l’exoplanète et l’a empêchée de quitter son système d’origine.
En utilisant des mesures précises de distance et de mouvement du satellite Gaia de l’Agence spatiale européenne, des étoiles de passage candidates ont été identifiées en 2019 par les membres de l’équipe de Robert De Rosa de l’Observatoire européen austral de Santiago, et Paul Kalas de l’Université de Californie.
Dans une étude publiée en 2015, Kalas a dirigé une équipe qui a trouvé des preuves circonstancielles du comportement de la planète : le disque de débris du système est fortement asymétrique, plutôt que d’être une distribution circulaire de matière. Un côté du disque est tronqué par rapport au côté opposé, et il est également perturbé verticalement plutôt que d’être restreint à un plan étroit comme vu du côté opposé des étoiles.
« C’est comme arriver sur les lieux d’un crime, et vous essayez de reconstruire ce qui s’est passé. Est-ce que ce sont les étoiles passagères qui ont perturbé la planète, puis la planète a perturbé le disque ? Est-ce le système binaire au milieu qui a d’abord perturbé la planète, puis cela a perturbé le disque ? Ou est-ce que les étoiles qui passent ont perturbé la planète et le disque en même temps ? C’est un travail de détective en astronomie, rassemblant les preuves dont nous avons besoin pour proposer des explications plausibles sur ce qui s’est passé ici », déclare Kalas.
Un scénario similaire pour la potentielle planète Neuf ?
Ce scénario pour l’orbite bizarre de HD 106906 b est similaire à certains égards à ce qui a pu amener l’hypothétique planète Neuf à se retrouver dans les confins de notre système solaire, bien au-delà de l’orbite des autres planètes et au-delà de la ceinture de Kuiper. La planète Neuf aurait pu se former dans le Système solaire interne et être expulsée par des interactions avec Jupiter. Cependant, Jupiter aurait très probablement projeté la planète Neuf bien au-delà de Pluton.
Les étoiles qui passent peuvent avoir stabilisé l’orbite de la planète expulsée en éloignant le trajet de l’orbite de Jupiter et des autres planètes du système solaire interne. À ce jour, les astronomes n’ont que des preuves circonstancielles de la planète Neuf. Ils ont trouvé un groupe de petits corps célestes au-delà de Neptune qui se déplacent sur des orbites inhabituelles par rapport au reste du Système solaire.
Cette configuration, disent certains astronomes, suggère que ces objets ont été entraînés ensemble par l’attraction gravitationnelle d’une énorme planète invisible. Une théorie alternative est qu’il n’y a pas une seule planète géante perturbatrice, mais au contraire le déséquilibre serait dû à l’influence gravitationnelle combinée de plusieurs objets beaucoup plus petits. Une autre théorie est que la planète Neuf n’existe pas du tout et que le regroupement de corps plus petits peut être juste une anomalie statistique.