La Terre a battu des records de rotation en 2020 : l’an passé compte en effet les 28 jours les plus rapides jamais enregistrés depuis 1960. En d’autres termes, à 28 reprises, notre planète a effectué des révolutions plusieurs millisecondes plus rapidement que la moyenne. Le phénomène n’entraîne fort heureusement aucun événement néfaste ; néanmoins, cela peut devenir problématique pour les horloges du monde entier basées sur le temps universel coordonné.
Le temps universel coordonné (UTC) est la norme de temps selon laquelle les pays du monde règlent leurs horloges. Elle est basée sur le temps atomique international (TAI), qui est ajusté régulièrement pour compenser les changements de vitesse de rotation de la Terre. Celle-ci varie en effet légèrement, en raison des variations de pression atmosphérique, des vents, des courants océaniques et des mouvements du noyau.
Le TAI est lui-même une échelle de temps basée sur la définition de la seconde ; il est établi par le Bureau international des poids et des mesures, qui utilise des horloges atomiques réparties dans le monde entier. Rappelons que depuis 1967, la seconde est définie comme étant la durée de 9’192’631’770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133, à une température de 0 K ; les horloges atomiques de référence sont donc majoritairement des horloges au césium.
Retirer une seconde pour « rattraper » la Terre
En moyenne, la Terre effectue une rotation sur elle-même en 86’400 secondes, soit 24 heures, une durée nommée jour solaire. Mais ce n’est pas toujours le cas. Depuis le développement des horloges astronomiques dans les années 1960, on sait que la durée d’un jour solaire peut varier de quelques millisecondes.
Les mesures officielles de temps de rotation de la Terre sont réalisées par le Service international de rotation terrestre et des systèmes de référence, dont le bureau central est localisé à l’Observatoire de Paris. Pour ce faire, les scientifiques mesurent, par interférométrie à très longue base, les moments précis où une étoile passe chaque jour à un certain endroit du ciel ; cette mesure représente le temps universel (noté UT1) : il est déterminé avec une précision de 4 millisecondes.
Lorsque le temps UT1 s’écarte de l’UTC de 0,4 seconde ou plus, ce dernier est ajusté. Jusqu’à présent, ces corrections consistaient à ajouter ce que l’on appelle une seconde intercalaire, à la fin de la dernière minute du 30 juin ou du 31 décembre. Depuis le début des mesures effectuées par satellite à la fin des années 1960, la rotation de la Terre affichait une tendance à ralentir. Ainsi, depuis 1972, une seconde intercalaire est ajoutée environ tous les 18 mois en moyenne. Au total, 27 secondes intercalaires ont déjà été ajoutées ; le dernier ajout remonte au 31 décembre 2016, à 23 heures 59 minutes et 59 secondes (la séquence de secondes était alors : 23h 59m 59s, 23h 59m 60s, 00h 00m 00s).
Mais depuis lors, notre planète est devenue soudainement plus rapide et aucune seconde intercalaire n’a été nécessaire. Et si cette accélération perdure, les scientifiques pensent qu’il sera peut-être nécessaire non pas d’ajouter, mais de retirer une seconde à l’UTC ! En d’autres termes, les horloges devront « sauter » une seconde pour rattraper la Terre.
Toutefois, selon le physicien Peter Whibberley, du National Physics Laboratory au Royaume-Uni, il est encore trop tôt pour affirmer que cela sera réellement nécessaire. Le spécialiste précise par ailleurs que ce cas de figure exceptionnel pourrait conduire à la fin pure et simple des secondes intercalaires ; la nécessité de ces dernières fait en effet débat parmi la communauté scientifique depuis quelque temps.
L’année la plus courte depuis des décennies
Le précédent record de vitesse de rotation avait été enregistré en 2005, le 5 juillet ; la Terre avait alors mis 1,0516 millisecondes de moins sur les 86’400 secondes nécessaires pour effectuer un tour complet sur elle-même. Mais l’an dernier, ce record a été battu pas moins de 28 fois ! Le 19 juillet était le jour le plus court de tous, avec une rotation plus rapide de 1,4602 millisecondes.
Mais les scientifiques estiment que la « course » soudaine de la Terre ne va pas s’arrêter là et prévoient d’autres jours exceptionnellement courts pour 2021. Selon leurs estimations, en moyenne, une journée sera cette année inférieure de 0,05 ms à 86’400 secondes. Ainsi, au cours de l’année, cela ajoutera un décalage de près de 19 millisecondes par rapport au temps atomique ! Cette année 2021 devrait ainsi être l’année la plus courte depuis des décennies ; la dernière fois qu’une journée moyenne était inférieure à 86’400 secondes sur toute une année remonte à 1937. C’est pourquoi les scientifiques envisagent aujourd’hui de retirer une seconde à l’UTC.
Cependant, selon l’Institut national des normes et de la technologie, les secondes intercalaires présentent des avantages et des inconvénients. Maintenir l’UTC synchronisé à moins d’une seconde avec le temps astronomique permet notamment aux astronomes d’utiliser l’UTC pour leurs observations ; sans correction, des ajustements devraient en effet être apportés aux systèmes d’horodatage des différents équipements. Mais les secondes intercalaires peuvent être problématiques pour certains systèmes tels que certaines applications d’enregistrement de données, des systèmes de télécommunication et des services de distribution de l’heure.
Par conséquent, certains scientifiques de l’Union internationale des télécommunications ont suggéré de laisser le fossé entre les temps astronomique et atomique s’élargir jusqu’à ce qu’une « heure bissextile » soit nécessaire, ce qui minimiserait les perturbations au niveau des télécommunications. Les astronomes devraient quant à eux faire leurs propres ajustements pendant tout ce laps de temps. Aucune décision officielle n’a été prise pour le moment. À ce jour, l’IERS (https://hpiers.obspm.fr/eop-pc/index.php) ne prévoit pas de nouvelle seconde intercalaire.