Une équipe de l’Université Emory a développé un nouveau nanomatériau polymorphe, qui peut se présenter sous forme de feuilles planes, puis changer d’aspect pour prendre la forme de nanotubes, le tout de manière tout à fait contrôlée. Cette invention pourrait aboutir à de nouvelles applications biomédicales, notamment dans le cadre de la libération contrôlée de médicaments et dans l’ingénierie tissulaire.
Le nanomatériau en question se présente sous la forme d’une feuille ultra mince — 10’000 fois plus mince que le diamètre d’un cheveu humain — et se compose de collagène synthétique. L’avantage est que le collagène (naturel) est la protéine la plus abondante de l’organisme humain ; par conséquent, ce nouveau matériau est intrinsèquement biocompatible, ce qui permet d’envisager bon nombre d’utilisations médicales.
Un tel matériau polymorphe fabriqué de collagène est une première, et l’Université Emory a d’ores et déjà déposé une demande de brevet provisoire. Plus précisément, cet incroyable matériau est le fruit d’une collaboration entre l’Université Emory et des scientifiques du Laboratoire national d’Argonne, de l’Institut Paul Scherrer de Villigen, en Suisse, et du Centre d’imagerie cellulaire et de nanoanalytique de l’Université de Bâle.
Un collagène synthétique et contrôlable
Le collagène est la principale protéine structurelle du tissu conjonctif du corps, comme le cartilage, les os, les tendons, les ligaments et la peau — l’ostéogenèse imparfaite, désignée aussi par « maladie des os de verre » est d’ailleurs due à un déficit de collagène. Cette protéine se trouve également en abondance dans les vaisseaux sanguins, l’intestin, les muscles et dans bien d’autres parties du corps. Les protéines de collagène ont pour fonction de conférer aux différents tissus du corps humain une résistance à l’étirement. De par sa grande biocompatibilité, il arrive que du collagène soit prélevé sur d’autres mammifères, tels que le porc, pour améliorer la cicatrisation des plaies ou dans le cadre d’autres applications médicales. Il est également largement utilisé dans l’industrie cosmétique.
Cependant, très peu de laboratoires s’intéressent au développement de collagène synthétique, susceptible d’être utilisé dans les mêmes contextes. L’avantage de ces biomatériaux synthétiques par rapport au collagène naturel est qu’il est possible de contrôler leur structure, une propriété exploitée depuis plusieurs années. « Il y a 30 ans déjà, il est devenu possible de contrôler la séquence du collagène. Cependant, le domaine a vraiment pris de l’ampleur au cours des 15 dernières années en raison des progrès de la cristallographie et de la microscopie électronique, ce qui nous permet de mieux analyser les structures à l’échelle nanométrique », explique Vincent Conticello, de l’Université Emory et auteur principal de l’article décrivant le nanomatériau publié dans le Journal of the American Chemical Society.
La protéine de collagène est composée d’une triple hélice de fibres, qui s’enroulent les unes autour des autres comme une corde à trois brins. Ces brins ne sont pas flexibles ; ils sont rigides comme des crayons et ils se tassent étroitement dans un réseau cristallin. Le laboratoire de Conticello travaille depuis plusieurs années au développement de feuilles de collagène synthétique. Le spécialiste explique qu’il faut voir ces feuilles comme un grand cristal bidimensionnel, dans lequel un tas de crayons sont regroupés ensemble, de manière à ce que la moitié d’entre eux aient leurs mines pointées vers le haut, tandis que l’autre moitié pointent vers le bas (leur gomme vers le haut).
Conticello cherchait à affiner la synthèse des feuilles de collagène de manière à ce que chaque côté de la feuille ne soit limité qu’à une seule fonctionnalité — pour reprendre l’analogie avec les crayons, un même côté de la feuille ne serait dans ce cas constitué que des mines de crayons et d’aucune gomme. L’intérêt de cette manipulation était de fabriquer des feuilles de collagène dont une face serait compatible avec un dispositif médical, tandis que l’autre serait compatible avec les protéines fonctionnelles du corps.
Mais lorsque Conticello et ses collaborateurs ont mis au point ces feuilles spécifiques, ils ont constaté que la procédure provoquait l’enroulement des feuilles sur elles-mêmes, formant des tubes ultraporeux (dont le diamètre des pores est supérieur à 100 nm). Ainsi, comme bon nombre de découvertes scientifiques, le nanomatériau polymorphe est en partie le fruit du hasard…
Vers de nouveaux médicaments à libération contrôlée
Les chercheurs se sont aperçus que non seulement le nanomatériau avait changé de forme, mais que ce changement était réversible : il est ainsi capable de passer d’une forme plane à une forme tubulaire, et vice versa, quasiment « à la demande ». Comment ? En faisant varier le pH de la solution dans laquelle il se trouve. Les scientifiques ont par la suite démontré qu’ils pouvaient adapter les feuilles de collagène, de manière à ce qu’elles adoptent une autre forme seulement lorsque leur environnement a un pH bien défini.
En d’autres termes, il devient possible de les contrôler à un niveau moléculaire. Une particularité qui ouvre la voie à de nombreuses applications thérapeutiques, comme le souligne Conticello : « Il est particulièrement intéressant que la condition autour de laquelle la transition se produit soit une condition physiologique ». Il serait par exemple possible de trouver un moyen de charger un produit thérapeutique dans un tube de collagène dans des conditions contrôlées de laboratoire. Ce tube pourrait alors être préréglé de façon à ce qu’il se déroule et libère les molécules médicamenteuses qu’il contient seulement lorsqu’il se trouve dans un environnement à un certain pH.