Le réseau social américain Parler, particulièrement prisé de l’extrême droite, est hors ligne depuis ce lundi 11 décembre. Suite à l’augmentation notable de contenus violents et du manque de mesures de modération concrètes, son hébergeur, Amazon Web Services, a en effet pris la décision de couper l’accès à la plateforme.
La plateforme a été lancée en 2018. L’an dernier, le nombre d’utilisateurs avait augmenté de manière significative, Parler servant en quelque sorte de « solution de repli » à tous les anciens utilisateurs de Twitter, dont les comptes avaient été fermés pour non respect de la charte d’utilisation. Le réseau était en effet beaucoup moins regardant sur la nature des contenus diffusés ; les propos racistes, antisémites, xénophobes et complotistes y étaient légion.
Des conservateurs américains, des médias d’extrême droite, des membres du mouvement QAnon, ou encore des néo-nazis faisaient partie de ses utilisateurs. À noter que le nombre de téléchargements de l’application avait littéralement explosé suite aux résultats de l’élection américaine en novembre dernier : plus d’un demi-million le jour même de l’élection !
Des appels à la violence intolérables
Le compte Twitter de Donald Trump a été suspendu le 8 janvier (de même que de nombreux comptes de partisans du mouvement QAnon) ; l’ancien président a également été banni de Facebook et d’Instagram « pour au moins deux semaines, jusqu’à ce que la transition pacifique du pouvoir soit achevée », a précisé Mark Zuckerberg. Dans le même temps, Google a retiré l’application Parler de son Play Store, en raison de la présence de messages d’incitation à la violence ; la firme de Mountain View exige en effet que toutes les applications de communication qu’elle propose mettent en place un système de modération de contenus pour éliminer les propos extrémistes. Décision analogue du côté d’Apple, qui avait toutefois accordé un sursis de 24 heures au réseau pour atténuer « la planification d’activités illégales et dangereuses ».
Toutes ces initiatives ont bien entendu été motivées par les événements qui se sont déroulés au Capitole la semaine dernière, et qui ont engendré de nombreux messages de soutien aux émeutiers pro-Trump sur l’ensemble des réseaux sociaux. Le réseau Parler, en particulier, relayait des messages de haine et des menaces de mort, tout en incitant ses membres à prendre les armes pour « marcher sur Washington DC ». C’est pourquoi son hébergeur, Amazon Web Services (AWS), a pris la décision de mettre le site hors ligne. À moins de trouver un éventuel autre hébergeur, Parler est donc inaccessible.
L’équipe Trust and Safety d’AWS a notamment déclaré à la directrice des politiques de Parler, Amy Peikoff, que les appels à la violence propagés sur le réseau social enfreignaient ses conditions de service. « [Nous] ne pouvons pas fournir de services à un client qui est incapable d’identifier et de supprimer efficacement le contenu qui encourage ou incite à la violence contre autrui. […] Étant donné que Parler […] représente un risque très réel pour la sécurité publique, nous prévoyons de suspendre le compte de Parler à compter du dimanche 10 janvier à 23 h 59 PST ».
Sitôt l’annonce diffusée ce week-end, les réactions sur Parler ne se sont pas faites attendre, certains appelant ouvertement à répondre par la violence : « Ce serait dommage que quelqu’un ayant une expérience des explosifs rende visite à certains centres de données AWS » a écrit un membre du réseau. Dans un message publié samedi soir sur Parler, son PDG, John Matze, a déclaré qu’il est possible que le réseau social « soit indisponible sur Internet pendant une semaine au maximum, le temps de repartir de zéro ». Pour Matze, ceci serait surtout le fruit d’une démarche anticoncurrentielle : « Il s’agissait d’une attaque coordonnée des géants de la technologie pour tuer la concurrence sur le marché. Nous avons trop réussi trop vite ».
Un réseau supprimé, mais des données conservées
Mauvaise nouvelle pour les pro-Trump qui espéraient rester anonymes et ne pas avoir à rendre de compte sur la prise d’assaut du Capitole : avant la fermeture de Parler, un pirate informatique se faisant appeler « crash override » serait parvenu à récupérer toutes les données des utilisateurs, les messages, les photos et les vidéos, liées au mouvement d’insurrection. Cet individu détiendrait ainsi un lot d’informations potentiellement compromettantes sur toutes les personnes ayant participé à ce mouvement.
Selon lui, les données hébergées par la plateforme étaient peu protégées et il affirme avoir pu aisément y accéder et les supprimer, y compris les messages préalablement effacés par leurs auteurs. Pour parvenir rapidement à ses fins, il a mis en place un système de crowdsourcing, via lequel plusieurs personnes ont pu contribuer au téléchargement du contenu (plus de 70 To de données au total).
Les données seraient actuellement en cours de traitement et devraient être par la suite mises à disposition sur Internet Archive, afin de les rendre accessibles à tout un chacun, y compris les forces de l’ordre. Ces données permettraient d’identifier et de localiser les utilisateurs de Parler qui ont soit participé à l’assaut du Capitole, soit posté des messages de menace contre des fonctionnaires.
Selon un compte Telegram appelé « North Central Florida Patriots », l’objectif est d’établir une liste de « patriotes responsables » : « Il est trop tard pour effacer vos données, et elles sont déjà archivées. Il n’y a rien que vous puissiez faire pour empêcher ce qui s’est déjà passé. Tout ce que vous pouvez faire, c’est vous préparer aux retombées ». Pour le PDG de Parler, qui espérait un retour en ligne rapide, les choses se compliquent : « Nous serons probablement indisponibles plus longtemps que prévu [parce que] la plupart des personnes disposant de suffisamment de serveurs pour nous héberger nous ont fermé leurs portes », a-t-il déclaré.
Aujourd’hui, Parler traduit AWS en justice pour abus de position dominante, arguant que la décision d’Amazon vise à réduire la compétition sur le marché du micro-blogging au profit de Twitter. En attendant l’issue du procès, les extrémistes se replient où ils peuvent : sur le réseau Gab (considéré lui aussi comme un réseau de libre expression, utilisé notamment par les néo-nazis et les suprématistes blancs), et aussi sur Telegram où les nouveaux abonnés affluent depuis lundi.