Au cours des 10’000 dernières années, la population humaine est passée de 1 million à 7.8 milliards d’individus. La plupart des terres arables servent désormais à l’agriculture ; des millions de mètres carrés de forêt tropicale sont décimés chaque année ; les niveaux de CO2 ont augmenté de manière critique et le changement climatique entraîne la survenue de plus en plus fréquente d’incendies et d’inondations. Si beaucoup d’êtres vivants pâtissent de cette situation, les insectes font partie des plus mal lotis. Si les données à l’échelle mondiale sont encore quelque peu incomplètes, une analyse de grande envergure effectuée récemment pose un verdict sans appel : les populations d’insectes déclinent à un rythme alarmant, et des actions de conservation doivent être prises sans plus attendre.
Dans une série d’articles publiés dans la revue PNAS, des experts font l’état des lieux du nombre d’insectes en tant que mesure de la biomasse, du nombre d’individus et des espèces. Saul Cunningham, directeur de la Fenner School of Environment & Society, est conscient de l’importance des insectes pour notre bien-être commun : « Les insectes sont extrêmement importants pour les processus écologiques desquels les humains dépendent, y compris la fourniture de nourriture et le recyclage des nutriments dans le sol », déclare Cunnigham. Ces animaux ont mené des processus écologiques vitaux pendant des centaines de millions d’années, se diversifiant en plus d’un million d’espèces existantes.
Pourtant, au cours des dernières décennies, les aires de répartition et les proportions de nombreuses espèces ont considérablement baissé, probablement en raison de facteurs tels que les changements de température, les précipitations, la perte d’habitat et l’utilisation de pesticides. Les statistiques les plus communément citées estiment que la perte de biomasse d’insectes est d’environ 1 à 2% par an — un chiffre choquant, et d’autant plus alarmant lorsque les variations locales sont prises en compte, certaines zones enregistrant des pertes de 10% ou plus chaque année.
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Un déclin inégal, mais globalement très préoccupant
« Les données montrent également que le déclin des insectes n’est pas universel, avec des pertes non apparentes pour certaines autres régions. Les études ajoutent une urgence significative au fait de développer des pratiques agricoles qui soutiennent des populations d’insectes saines et diversifiées », indique Cunnigham.
Non seulement le déclin n’est pas universel, mais dans certaines parties du globe, les insectes parviennent à prospérer. Surtout dans les climats tempérés, de nombreuses espèces sont en plein essor, probablement en raison de la hausse des températures poussant les zones d’habitat vers les pôles. Mais ce n’est pas parce que la situation dans son ensemble est compliquée que nous devons être complaisants. La perte de quelques espèces moins robustes au milieu du changement climatique mondial pourrait être un signe que le pire est à venir.
En ce qui concerne les populations d’insectes florissantes, un surplus de papillons de nuit, de punaises d’eau et de cafards ne sera pas d’une grande importance lorsque les cultures dépériront à la suite de la perte des pollinisateurs ou que les déchets s’accumuleront faute de détritivores spécialisés. L’entomologiste Akito Kawahara du Florida Museum of Natural History (co-auteur d’un des articles) exhorte les communautés à faire plus pour s’assurer de la survie des insectes dans toutes les régions du monde.
Des actions locales à entreprendre pour préserver la biodiversité
« Rien qu’aux États-Unis, les insectes sauvages contribuent chaque année à environ 70 milliards de dollars américains à l’économie grâce à des services gratuits tels que la pollinisation et l’élimination des déchets. C’est incroyable, et la plupart des gens n’en ont aucune idée », indique Kawahara.
Son équipe et lui ont décrit une poignée d’actions simples que nous pouvons tous entreprendre pour que la biodiversité locale soit préservée. Par exemple, garder les lumières extérieures éteintes la nuit ou changer les ampoules pour éviter d’attirer les insectes loin de leurs habitats où ils font plus de bien ; laver votre voiture et votre allée avec des savons biodégradables et utiliser des scellants pour allées à base de soja. Certaines des suggestions ne nécessitent pas de grands efforts. Vous avez une pelouse ? Attendez quelques semaines pour tondre. Mieux encore, enlevez-en une partie et remplacez-la par des pousses prises dans la nature.
Kawahara recommande de réserver une partie de votre jardin aux insectes, ce qui signifie qu’il n’y a pas de pesticide et beaucoup de choix dans la végétation. « Si chaque maison, école et parc local des États-Unis convertissait 10% de la pelouse en habitat naturel, cela donnerait aux insectes 16 millions de m² supplémentaires d’habitat ».
L’année 2021 devrait apporter son nouveau lot d’études détaillées sur les variations locales et mondiales des populations d’insectes. « Nous pouvons tirer des leçons de ces endroits qui ne connaissent pas de déclin dramatique des insectes. À l’échelle mondiale, nous ne surveillons pas les populations d’insectes de manière généralisée ou systématique, ce qui limite notre pouvoir de réponse », conclut Cunnigham.