En 2019, la Station spatiale internationale a repéré un étrange jet de lumière bleu au-dessus de l’océan Pacifique, un éclair intense issu d’un nuage d’orage dirigé vers la stratosphère. Jusqu’à présent, les conditions déclenchant ces éclairs atypiques étaient méconnues. Des scientifiques apportent aujourd’hui une explication au phénomène.
La foudre est un gigantesque arc électrique via lequel sont transférées des charges électriques. D’ordinaire, le phénomène excite un mélange de gaz propre à la basse atmosphère, qui confère à l’éclair une couleur blanche. La teinte caractéristique des jets bleus est due, quant à elle, à l’azote stratosphérique. Ils proviennent eux aussi des nuages d’orage et atteignent des altitudes allant jusqu’à 50 kilomètres en moins d’une seconde.
Les premières preuves d’observation du phénomène remontent aux années 1990 ; plusieurs vidéos capturées par une navette spatiale de la NASA avaient permis de confirmer l’existence des jets bleus et autres flashs lumineux atypiques liés aux orages. Puis, pendant plusieurs années, des observateurs au sol ou aériens ont rapporté l’apparition de ces éclairs bleus. Cependant, leur formation était difficile à comprendre sans pouvoir disposer d’un point d’observation situé au-dessus des nuages. Les instruments optiques de la Station spatiale internationale (ISS) ont permis de lever le voile sur ce mystère.
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Des zones de charge électrique opposée bien trop proches
La foudre reste l’un des phénomènes météorologiques les plus spectaculaires et mystérieux. Aujourd’hui encore, les experts ne peuvent expliquer pleinement la variété des décharges électriques plus ou moins violentes qui se déroulent dans l’atmosphère. Mais depuis 2018, l’ISS héberge l’Atmosphere-Space Interactions Monitor (ASIM), qui regroupe un ensemble d’instruments scientifiques dédiés à l’étude des phénomènes lumineux transitoires et des flashs de rayonnement gamma terrestres, associés aux orages. Ce laboratoire spatial de l’Agence spatiale européenne compte notamment une variété de caméras optiques, de photomètres et de détecteurs de rayons X et gamma. La position idéale de l’ASIM, dans l’espace, permet aux scientifiques de récolter davantage de données sur les différents types de foudre.
En février 2019, les caméras et instruments de détection de l’ISS ont ainsi observé l’un de ces jets bleus lors d’une tempête au-dessus de l’océan Pacifique, près de l’île de Nauru. L’explosion fut extrêmement brève et très brillante ; tout a commencé par une étincelle, un « bang bleu » — selon les termes utilisés par Torsten Neubert, physicien de l’atmosphère à l’Université technique du Danemark — de dix microsecondes, à environ 16 kilomètres d’altitude, au sommet du nuage d’orage. Puis, de ce point d’éclair a jailli un jet bleu, qui s’est élevé dans la stratosphère jusqu’à environ 52 kilomètres pendant plusieurs centaines de millisecondes.
L’article publié dans Nature, qui rend compte de cette découverte, rapporte plus précisément l’observation de cinq flashs bleus, d’environ 10 microsecondes chacun, au sommet d’un nuage d’orage ; mais seul l’un d’eux a généré un jet bleu, qui a atteint la stratopause (soit l’interface entre la stratosphère et la couche supérieure, la mésosphère). Ce flash a également généré ce que l’on appelle des elfes (ou ELVES en anglais, pour Emission of Light and Very low-frequency perturbations from Electromagnetic pulse Sources) — des anneaux en expansion rapide d’émissions optiques et ultraviolettes, faiblement lumineuses, qui apparaissent à la base de l’ionosphère et qui ne durent qu’une milliseconde environ, comme illustré dans la vidéo suivante :
Selon Neubert, l’étincelle qui a généré le jet bleu pourrait être un type spécial de décharge électrique, à courte portée, à l’intérieur du nuage d’orage. Les éclairs « standards » résultent de décharges électrostatiques de grande intensité entre deux régions de charge opposée, au sein d’un nuage, entre deux nuages, ou entre un nuage et le sol. Ces régions sont généralement distantes de plusieurs kilomètres.
Mais parfois, les turbulences qui se créent au sein du nuage sont telles qu’elles peuvent rapprocher ces régions de charge électrique opposée ; elles se retrouvent parfois à seulement un kilomètre les unes des autres, ce qui crée des sursauts de courant électrique très courts mais puissants, explique le physicien.
Une réaction en chaîne très localisée
Il est important de comprendre comment se forment les jets bleus et d’autres phénomènes lumineux transitoires de la haute atmosphère liés aux orages, tels que les farfadets (aussi appelés sylphes rouges ou sprites) et les elfes. Ces événements peuvent en effet affecter la façon dont les ondes radio se déplacent à travers l’air et de ce fait, ont un impact potentiel sur les technologies de communication.
De par ces récentes observations, les experts pensent désormais que les elfes sont générés par une impulsion électromagnétique au bas de l’ionosphère, causée par une décharge de foudre. Le phénomène apparaît toutefois relativement faible et très localisé, comparativement aux éclairs qui se développent entre le sol et les nuages. Ceci suggère que les éclairs et les jets bleus résultent d’une réaction en chaîne de particules d’air ionisantes : « Nous proposons que les impulsions UV soient des elfes générés par les courants de bandes de flashs, plutôt que par les courants de foudre », expliquent les auteurs de l’article.
Ces flashs sont similaires à des événements bipolaires étroits — des décharges radioélectriques de haute puissance qui se produisent à l’intérieur des nuages pendant les orages, connues pour déclencher des éclairs dans les nuages. Selon les chercheurs, les éclairs bleus au sommet des nuages sont probablement l’équivalent optique de ce phénomène et peuvent se transformer en jets bleus. Étant donné que les événements bipolaires étroits sont assez courants, cela pourrait signifier que les éclairs bleus sont également plus fréquents que ne le pensaient les scientifiques. En savoir plus sur leur fréquence pourrait apporter une bien meilleure compréhension des tempêtes et des éclairs, et des interactions complexes qui y sont associées.