On sait aujourd’hui que la pollution de l’air est la cause de nombreuses infections respiratoires dans le monde. Mais il se pourrait que l’impact des particules fines sur notre santé ne s’arrête pas là. De récentes recherches, menées par une équipe britannique, suggèrent en effet que la pollution atmosphérique nuit également à la santé des yeux : elle est notamment associée à la dégénérescence maculaire liée à l’âge et à des anomalies au niveau de l’épaisseur des sous-couches rétiniennes.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, près de 91% de la population mondiale vit dans des endroits où les niveaux de qualité de l’air dépassent les limites fixées pour les polluants qui présentent des risques pour la santé. La pollution de l’air serait ainsi responsable d’environ 4,2 millions de décès par an, dus à des accidents vasculaires cérébraux, aux maladies cardiaques, au cancer du poumon et aux maladies respiratoires chroniques.
Les polluants tels que les particules fines, l’ozone (O₃), le dioxyde d’azote (NO₂) et le dioxyde de soufre (SO₂) font partie des plus grandes préoccupations en matière de santé publique. Les particules fines désignées par PM 2,5, sont particulièrement préoccupantes. Ces particules microscopiques de moins de 2,5 micromètres peuvent en effet pénétrer profondément dans les poumons et dans la circulation sanguine, provoquant une inflammation dans tout l’organisme. Une exposition répétée à ces particules peut irriter les yeux et la gorge, et engendrer des difficultés respiratoires.
Un potentiel nouveau facteur de risque
Des chercheurs britanniques se sont intéressés en particulier aux dommages causés par la pollution sur la vision. La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est une dégradation progressive d’une partie de la rétine (la macula), qui peut conduire à la perte de la vision centrale. C’est la première cause de handicap visuel chez les plus de 50 ans. La forme « sèche » de la maladie correspond à la disparition progressive des cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR), puis à celle des photorécepteurs situés au niveau de la macula. La forme « humide » se traduit par une prolifération de nouveaux vaisseaux anormaux sous la rétine.
La maladie résulte de la conjonction de plusieurs facteurs de risque, le principal étant l’âge (la prévalence de la maladie explose après 75 ans). Le facteur génétique est lui aussi prépondérant ; le risque de développer une DMLA est quatre fois plus important si un parent ou un membre de la fratrie est atteint. Le tabagisme est également associé à la maladie : il augmente le risque d’apparition d’un facteur 3 à 6. Malheureusement, les résultats de cette nouvelle étude suggèrent l’existence d’un autre facteur de risque.
Pour leur analyse, les chercheurs se sont appuyés sur les données de milliers de personnes inscrites sur la UK Biobank : 115’954 participants exactement, âgés de 40 à 69 ans. Chaque personne a été invitée à signaler tout diagnostic de DMLA. 52’602 d’entre elles ont par ailleurs fait examiner leur vue afin de mesurer l’épaisseur de l’EPR. Parallèlement, les scientifiques ont estimé les niveaux annuels de pollution de l’air autour des foyers des participants, à l’aide d’ensembles de données accessibles au public ; ces mesures de pollution de l’air ambiant comprenaient les particules, le dioxyde d’azote (NO2) et les oxydes d’azote (Nox).
Les résultats obtenus montrent que les personnes exposées à des niveaux plus élevés de pollution à particules fines présentaient un risque plus élevé (de 8%) de développer une DMLA. En outre, l’exposition à d’autres polluants, y compris le dioxyde d’azote, était également associée à des changements d’épaisseur de la rétine, détectés par imagerie.
Une tendance qui pourrait être évitée
Pour le moment, les conclusions sont toutefois à nuancer. Sur les quelque 116’000 participants à l’étude, seule une infime partie (1,1%) a effectivement reçu un diagnostic de DMLA. Et si les tendances observées semblent claires, le lien de cause à effet ne peut être établi à partir de cette unique étude. Plusieurs autres facteurs peuvent entrer en jeu (alimentation, mode de vie, etc.) et influencer le risque de maladie. Ces données suggèrent néanmoins que l’exposition aux polluants peut potentiellement affecter notre organisme d’une manière encore insoupçonnée.
« Nos résultats s’ajoutent aux preuves croissantes des effets néfastes de la pollution de l’air ambiant, même dans le cadre d’une exposition relativement faible à la pollution de l’air ambiant », écrivent les auteurs de l’étude. Ils suggèrent ainsi que la pollution de l’air peut affecter l’œil de manière détournée, par l’inflammation et le stress oxydatif, deux mécanismes de défense qui permettent à notre organisme de lutter contre toute substance étrangère et/ou toxique. Mais des recherches supplémentaires seront nécessaires pour examiner ce lien plausible.
À noter qu’une autre étude, menée en 2019, avait d’ores et déjà associé la pollution de l’air et une maladie oculaire : cette étude chinoise publiée dans Acta Ophtalmologica rapportait qu’une exposition aux PM 2,5 tendait à augmenter le risque d’apparition d’un glaucome — une maladie dégénérative du nerf optique et principale cause de cécité dans le monde. « La bonne nouvelle est que la pollution de l’air ambiant peut être contrôlée et donc, les maladies qu’elle provoque peuvent être évitées », souligne Philip Landrigan, médecin de santé publique et épidémiologiste, qui n’a pas participé à ces études.
L’application des normes de qualité de l’air et la réduction des émissions des centrales électriques au charbon seraient toutes deux des stratégies efficaces pour réduire la pollution atmosphérique. « Les villes et les pays devront passer à des sources d’énergie non polluantes, encourager les déplacements actifs, améliorer leurs réseaux de transport, [et] repenser les processus industriels pour éliminer les déchets », précise Landrigan. En attendant, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour rassembler des preuves sur les risques à long terme que la pollution atmosphérique représente pour la santé oculaire.