Bien que ce soit le premier jamais découvert (1964), le trou noir stellaire du système Cygnus X-1 semble encore nous réserver des surprises. En 1990, sa masse avait été estimée à 14,8 masses solaires, mais il s’avère selon de récentes observations qu’elle est environ 50% plus importante, plaçant ce chiffre à 21,2 masses solaires. Si les résultats sont confirmés, il s’agirait également de l’un des trous noirs stellaires les plus massifs jamais détectés.
Cette masse actualisée amène les astronomes à repenser l’évolution de certaines étoiles à l’origine de trous noirs. Pour qu’un trou noir stellaire (faisant entre trois et une dizaine de fois la masse du Soleil) aussi massif existe dans la Voie lactée, son étoile mère doit avoir perdu moins de masse que prévu par les vents stellaires, expliquent les chercheurs dans leur document. Les détails ont été publiés le 18 février dans la revue Science.
Pour comprendre comment ces étoiles enrichissent leur environnement avec des éléments lourds, il est important de savoir quelle quantité de matière les étoiles perdent par les vents stellaires au cours de leur vie. C’est également essentiel pour comprendre les masses et les compositions de ces étoiles lorsqu’elles explosent et laissent derrière elles des trous noirs.
« La nouvelle mesure de la masse de Cygnus X-1 est un grand changement par rapport à une ancienne favorite », déclare Tana Joseph, une astronome de l’Université d’Amsterdam qui n’a pas participé aux travaux. Stephen Hawking a parié avec le célèbre physicien Kip Thorne que le système Cygnus X-1, découvert en 1964, ne comprenait pas de trou noir — et a concédé le pari en 1990, lorsque les astronomes ont largement accepté que Cygnus X-1 contenait bel et bien le premier trou noir connu.
Les astronomes ont jeté un nouveau regard sur Cygnus X-1 en utilisant le Very Long Baseline Array, ou VLBA. Ce réseau de 10 antennes radio s’étend sur l’ensemble des États-Unis, de Hawaï aux îles Vierges, formant collectivement une antenne radio de la taille d’un continent. En 2016, le VLBA a suivi les jets de matière radio émis par le trou noir de Cygnus X-1 pendant six jours. Ces observations ont permis de voir clairement comment la position du trou noir dans l’espace s’est décalée au cours de son orbite. Cela a permis aux chercheurs d’affiner la distance estimée du trou noir par rapport à Cygnus X-1.
Une nouvelle mesure qui remet en question les théories
Les nouvelles observations suggèrent que Cygnus X-1 se trouve à environ 7200 années-lumière de la Terre, alors que l’estimation précédente était d’environ 6000 années-lumière. Cela implique que l’étoile de Cygnus X-1 est encore plus brillante, et donc plus massive, que ce que les astronomes pensaient jusqu’ici. L’étoile fait environ 40,6 masses solaires, estiment les chercheurs. Le trou noir serait donc également plus massif, pour expliquer sa force gravitationnelle sur une étoile aussi massive. Le trou noir ferait environ 21,2 masses solaires, soit bien plus que les 14,8 masses solaires précédemment estimées.
La nouvelle mesure de masse du trou noir de Cygnus X-1 est si importante qu’elle remet en question la compréhension des astronomes des étoiles massives qui s’effondrent pour former des trous noirs, explique le co-auteur de l’étude Ilya Mandel, un astrophysicien de l’Université Monash à Melbourne (Australie).
« Parfois, les étoiles naissent avec des masses assez élevées – on observe des étoiles naissant avec des masses bien supérieures à 100 masses solaires », déclare Mandel. Mais on pense que ces énormes étoiles perdent une grande partie de leur matière à cause des vents stellaires avant de se transformer en trous noirs. Plus l’étoile est grande et plus elle contient d’éléments lourds, plus ses vents stellaires sont forts. Ainsi, dans les galaxies riches en éléments lourds comme la Voie lactée, les grandes étoiles — quelle que soit leur masse initiale — sont censées se réduire à environ 15 masses solaires avant de s’effondrer en trous noirs.
Jusqu’ici, les détecteurs d’ondes gravitationnelles LIGO et Virgo ont découvert des trous noirs faisant des dizaines de masses solaires dans d’autres galaxies. Mais cela est probablement dû au fait que LIGO observe des galaxies lointaines qui existaient auparavant dans l’univers, explique Tana Joseph. À l’époque, il y avait moins d’éléments lourds, donc les vents stellaires étaient plus faibles. « Avec la nouvelle mesure de Cygnus X-1, maintenant nous devons dire, attendez, nous sommes dans un environnement riche en éléments lourds par rapport à l’univers primitif… mais nous constatons quand même la création d’un trou noir vraiment massif, alors peut-être que [les étoiles] ne perdent pas autant de masse par les vents stellaires que nous le pensions au départ », ajoute-t-elle.