Le principe de l’holographie a été découvert par un physicien hongrois, Dennis Gabor, en 1948. C’est d’ailleurs grâce à ces travaux qu’il a obtenu le prix Nobel de physique en 1971. Depuis, l’holographie a beaucoup évolué et est utilisée dans de nombreux domaines, notamment en biologie. Des chercheurs ont franchi récemment un nouveau cap, en proposant une nouvelle approche d’imagerie holographique basée sur la physique quantique.
L’holographie est un procédé d’enregistrement de la lumière diffractée par un objet, qui permet de restituer ultérieurement une image en relief de cet objet. Ceci est réalisé grâce aux propriétés de la lumière issue des lasers, qui est dite « cohérente », ce qui signifie que les ondes lumineuses demeurent en phase. Cette cohérence est à la fois spatiale et temporelle : à un instant donné, tous les points situés dans un même plan perpendiculaire au faisceau sont dans le même état de phase, et plusieurs ondes lumineuses émises successivement par un même point demeurent en phase.
Aujourd’hui, l’holographie est couramment utilisée dans la recherche biomédicale (microscopie biologique ou imagerie médicale). La microscopie holographique permet en effet de déchiffrer les mécanismes biologiques dans les tissus et les cellules vivantes. Par exemple, elle est utilisée couramment pour détecter la présence de parasites du paludisme dans les globules rouges, ou pour identifier les spermatozoïdes dans le cadre d’une FIV. L’holographie quantique pourrait permettre d’aller encore plus loin dans l’exploration microbiologique.
Contourner le besoin de cohérence
Outre le domaine biomédical, l’imagerie holographique est utilisée dans le secteur des loisirs et du divertissement (hologrammes de célébrités décédées, hologrammes d’objets précieux dans les musées, etc.), comme dispositif de protection (hologrammes de sécurité sur les billets de banque, sur les cartes bancaires, etc.), ou pour stocker des informations (mémoire holographique).
L’holographie classique crée des rendus 2D d’objets 3D avec un faisceau de lumière laser divisé en deux chemins. L’un des faisceaux (le faisceau objet) illumine l’objet, puis la lumière réfléchie est collectée par une caméra ou un film holographique spécial. Le trajet du deuxième faisceau (le faisceau de référence) est renvoyé d’un miroir directement sur la surface de collecte sans toucher l’objet. L’hologramme est alors créé en mesurant les différences de phase de la lumière, là où les deux faisceaux se rencontrent.
Ces interférences entre les faisceaux exigent généralement que la lumière soit « cohérente », autrement dit, qu’elle ait la même fréquence partout. C’est le cas de la lumière émise par un laser, c’est pourquoi on l’utilise dans la plupart des systèmes holographiques. Mais Hugo Defienne et ses collègues de l’Université de Glasgow, sont parvenus à contourner ce besoin de cohérence en exploitant l’intrication quantique entre les photons. Si l’holographie conventionnelle repose sur la cohérence optique, c’est parce que la lumière doit interférer pour produire des hologrammes, et qu’elle doit être cohérente pour interférer. Mais les physiciens soulignent que cette seconde condition n’est pas totalement vraie : certaines sources de lumière ne sont pas cohérentes et produisent tout de même des interférences. C’est le cas de la lumière constituée de photons intriqués, émise par une source quantique.
Exploiter les propriétés de photons intriqués
Rappelons que lorsque deux particules sont dites intriquées, elles sont intrinsèquement connectées et agissent comme un seul objet, même si elles peuvent être séparées dans l’espace. En conséquence, toute mesure effectuée sur une particule intriquée affecte le système intriqué dans son ensemble. Dans l’approche proposée par Defienne et son équipe, les deux photons de chaque paire sont séparés et envoyés dans deux directions différentes. Un photon est envoyé vers un objet, qui pourrait être par exemple une lame de microscope contenant un échantillon biologique. Lorsqu’il heurte cet objet, le photon est légèrement dévié ou un peu ralenti en fonction de l’épaisseur du matériau traversé.
Mais, en tant qu’objet quantique, un photon a la propriété de se comporter non seulement comme une particule, mais aussi comme une onde. Cette dualité onde-particule lui permet non seulement de sonder l’épaisseur de l’objet à l’endroit précis où il l’a frappé, mais aussi de mesurer son épaisseur sur toute sa longueur en une seule fois. Par conséquent, l’épaisseur de l’échantillon — et donc sa structure tridimensionnelle — est comme « imprimée » sur le photon. Et du fait que les photons sont intriqués, la projection imprimée sur un photon est partagée simultanément par les deux. Le phénomène d’interférence se produit alors à distance, sans qu’il soit nécessaire que les faisceaux se chevauchent ; un hologramme est finalement obtenu en détectant les deux photons à l’aide de caméras séparées et en mesurant les corrélations entre eux.
Les auteurs de cette étude soulignent que dans leur approche holographique quantique, le phénomène d’interférence se produit même si les photons n’interagissent jamais entre eux et peu importe la distance qui les sépare —, c’est le principe de « non-localité » de la mécanique quantique ; le phénomène est activé par la « simple » présence d’une intrication quantique entre les photons.
Concrètement, cela signifie qu’avec l’holographie quantique, la « mesure » de l’objet et les mesures finales pourraient être effectuées à des endroits complètement opposés sur la planète ! Au-delà de cet intérêt fondamental, l’utilisation de l’intrication au lieu de la cohérence optique dans un système holographique offre des avantages pratiques tels qu’une meilleure stabilité et une meilleure résilience au bruit. En effet, l’intrication quantique est une propriété intrinsèquement difficile d’accès et difficile à contrôler, et présente donc l’avantage d’être moins sensible aux perturbations externes.
Ces avantages permettent ainsi de produire des images biologiques de bien meilleure qualité que celles obtenues avec les techniques de microscopie actuelles. Bientôt, cette approche holographique quantique pourrait être utilisée pour démêler des structures et des mécanismes biologiques se déroulant à l’intérieur de cellules qui n’avaient jamais été observés auparavant.