Cโest lโun des attributs qui distingue le plus lโHomme de ses proches parents : le cortex cรฉrรฉbral humain adulte est trois fois plus gros et possรจde presque deux fois plus de neurones que celui des grands singes. Des scientifiques apportent aujourdโhui une explication ร cette diffรฉrence : ils ont notamment dรฉcouvert quโun interrupteur molรฉculaire, inconnu jusquโalors, contrรดle la croissance des cellules cรฉrรฉbrales.
Le cerveau humain a subi une expansion rapide depuis que notre espรจce a divergรฉ des autres primates ; il est ainsi devenu le plus grand de tous les cerveaux de primates. Il atteint gรฉnรฉralement environ 1500 cm3 ร l’รขge adulte, soit environ trois fois la taille du cerveau d’un gorille (500 cm3) ou du cerveau d’un chimpanzรฉ (400 cm3). De prรฉcรฉdentes รฉtudes ont examinรฉ les diffรฉrences entre le dรฉveloppement cรฉrรฉbral de lโHomme et celui des rongeurs, mettant en รฉvidence des divergences au niveau du comportement des progรฉniteurs neuraux, de la neurogenรจse et de la cyto-architecture.
Les mรฉcanismes rรฉgissant cette divergence d’รฉvolution entre les primates et les rongeurs sont donc assez bien compris. En revanche, les changements apparus chez lโHomme par rapport aux singes restent ร expliquer. Des biologistes se sont donc penchรฉs sur la question et ont dรฉcouvert plusieurs explications ร lโhypertrophie du cerveau humain.
Une division cรฉrรฉbrale plus prolifique
Pour mener leur รฉtude, les chercheurs ont collectรฉ des cellules dโhumains, de chimpanzรฉs et de gorilles, puis les ont reprogrammรฉes en cellules souches, quโils ont cultivรฉes pour en faire de minuscules organoรฏdes cรฉrรฉbraux โ soit de petites structures multicellulaires, de quelques millimรจtres, reproduisant la micro-anatomie du tissu cรฉrรฉbral.
Aprรจs plusieurs semaines de dรฉveloppement, les organoรฏdes du cerveau humain รฉtaient de loin les plus gros du lot. Et pour causeย : les scientifiques ont dรฉcouvert que dans le tissu cรฉrรฉbral humain, les cellules progรฉnitrices neurales โ qui fabriquent toutes les cellules du cerveau โ se divisent davantage que celles du tissu cรฉrรฉbral des grands singes. ยซ Nous avons constatรฉ une diffรฉrence de comportement cellulaire trรจs, trรจs tรดt, qui permet au cerveau humain de grossir ยป, a dรฉclarรฉ le Dr Madeleine Lancaster, biologiste du dรฉveloppement au Laboratoire de biologie molรฉculaire du Medical Research Council, ร Cambridge.

Or, lorsque vient lโรฉtape de la diffรฉrenciation des cellules cรฉrรฉbrales โ qui comprend la fabrication des neurones โ, le fait quโil y ait beaucoup plus de cellules dans le tissu humain au dรฉpart entraรฎne lโaugmentation de l’ensemble de la population de cellules cรฉrรฉbrales dans tout le cortex. La modรฉlisation mathรฉmatique du processus a montrรฉ que la diffรฉrence de prolifรฉration cellulaire se produit si tรดt dans le dรฉveloppement du cerveau, qu’elle conduit finalement ร un quasi-doublement du nombre de neurones dans le cortex cรฉrรฉbral humain adulte par rapport ร celui des grands singes.
Les organoรฏdes humains รฉtaient systรฉmatiquement plus gros que les organoรฏdes de gorilles et de chimpanzรฉs ร un stade oรน les bourgeons neuroรฉpithรฉliaux s’รฉtaient formรฉs et subissaient une expansion. Au cours de cette expansion, jusquโau troisiรจme jour aprรจs lโinduction neurale, la taille et lโarchitecture des tissus des trois espรจces รฉtaient trรจs similaires. Mais au cinquiรจme jour, les organoรฏdes de gorille et de chimpanzรฉ ont prรฉsentรฉ des bourgeons neuroรฉpithรฉliaux circulaires plus arrondis que ceux des organoรฏdes humains, qui adoptaient plutรดt une forme allongรฉe.
Un gรจne identifiรฉ comme rรฉgulateur de croissance cellulaire
Les rรฉsultats obtenus mettent en รฉvidence que la diffรฉrenciation neuroรฉpithรฉliale est un processus prolongรฉ chez les singes, qui implique un รฉtat de transition auparavant non reconnu caractรฉrisรฉ par un changement de forme cellulaire. Au cours de cette transition, les changements de forme cellulaire se produisent avant le changement d’identitรฉ cellulaire et le dรฉbut de la neurogenรจse. Il apparaรฎt que les organoรฏdes humains sont plus gros en raison d’un retard dans cette transition morphologique, associรฉ ร des diffรฉrences de migration nuclรฉaire intercinรฉtique (un dรฉplacement du corps cellulaire propre ร la division neurogรฉnique) et de longueur de cycles cellulaires (plus courts chez lโHomme).



En outre, les chercheurs ont identifiรฉ un gรจne crucial impliquรฉ dans ce processus. Ils ont constatรฉ que ce gรจne, nommรฉ Zeb2, sโactive plus tard dans les tissus humains que dans les tissus de singes, retardant dโautant la phase de transition. Par consรฉquent, les cellules humaines ont davantage de temps pour se diviser et mรปrir. Ce gรจne semble agir en quelque sorte comme un interrupteur de croissance cellulaireย : des tests ont montrรฉ en effet que retarder les effets de Zeb2 faisait grossir le tissu cรฉrรฉbral des gorilles. ร lโinverse, l’activer plus tรดt dans les organoรฏdes du cerveau humain les faisait croรฎtre comme ceux des singes.
John Mason, professeur de dรฉveloppement neuronal molรฉculaire ร l’Universitรฉ d’รdimbourg, qui n’a pas participรฉ ร cette recherche, fait remarquer que cette รฉtude est une nouvelle preuve de lโintรฉrรชt des organoรฏdes dans le cadre des recherches sur le dรฉveloppement du cerveau. Il souligne par ailleurs quโune meilleure comprรฉhension du dรฉveloppement cรฉrรฉbral est indispensable pour identifier la faรงon dont les troubles neurodรฉveloppementaux peuvent survenir. ยซ La taille du cerveau peut รชtre affectรฉe dans certains troubles du neuro-dรฉveloppement, par exemple la macrocรฉphalie est une caractรฉristique de certains troubles du spectre autistiqueย ยป, explique le spรฉcialiste. Ainsi, la comprรฉhension de ces processus fondamentaux du dรฉveloppement embryonnaire du cerveau pourrait conduire ร une meilleure comprรฉhension, voire une meilleure prรฉvention, de ces troubles.


