C’est une autre conséquence du réchauffement climatique : cette année, les célèbres cerisiers japonais, les sakura, qui fleurissent chaque année aux alentours de la mi-avril, se sont parés de leurs magnifiques couleurs exceptionnellement tôt. Suite aux températures inhabituellement douces du mois de mars, les cerisiers de Kyoto étaient tous en fleurs dès le 26 mars. Du jamais vu depuis 1200 ans !
Véritable emblème de la nation, la fleur de cerisier est un symbole très important pour les Japonais ; elle représente le caractère éphémère de la beauté et de la vie. La tradition du hanami consiste à contempler ces fleurs en compagnie de ses proches, dès l’arrivée des beaux jours. Ainsi, tous les habitants suivent avec beaucoup d’attention le front de floraison des sakura, qui fait chaque jour l’actualité, tel un bulletin météorologique.
Grâce aux archives de la cour impériale de Kyoto et autres documents nationaux anciens évoquant les festivités liées à cet événement printanier, les dates de floraison sont connues depuis l’an 812. Et depuis cette époque, la date du pic de floraison la plus précoce jamais relevée était le 27 mars, en l’an 1409. Cette année marque donc un nouveau record et le hanami aura quelques jours d’avance…
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Une floraison de plus en plus précoce
Chaque année, du début à la mi-avril, les habitants de Kyoto honorent la tradition du hanami sous les cerisiers, et admirent des centaines de variétés de fleurs blanches et roses s’épanouir pleinement. Les cerisiers de Kyoto peuvent commencer à fleurir au mois de mars, mais le pic de floraison — lorsque la majorité des bourgeons ont éclos — se situe historiquement autour du 17 avril. Au cours du siècle dernier cependant, cette date a peu à peu été avancée au 5 avril.
Mais cette année, l’événement s’est fait encore plus précoce : vendredi 26 mars, les responsables ont annoncé que les cerisiers de Kyoto avaient complètement fleuri. La date du pic de floraison des sakura est l’une des données que les scientifiques examinent pour reconstruire le climat du passé. Pour Michael E. Mann, climatologue et directeur du Earth System Science Center de l’Université d’État de Pennsylvanie, cette floraison prématurée est une nouvelle preuve incontestable du réchauffement climatique : « Le réchauffement de la planète causé par l’homme, auquel nous assistons aujourd’hui, est sans précédent depuis des millénaires », souligne-t-il.
Rigoureusement suivie depuis le 9e siècle, la date de floraison des cerisiers est le phénomène naturel saisonnier qui bat tous les records en matière de durée d’enregistrement. « [Ce record] est incroyablement précieux pour la recherche sur le changement climatique en raison de sa longueur et de la forte sensibilité de la floraison aux températures printanières », explique Benjamin Cook, chercheur à l’Université de Columbia, spécialisé dans la reconstruction des données climatiques du passé.
En analysant de plus près ces données récoltées sur 1200 ans, les scientifiques ont pu mettre en évidence une tendance claire, qui coïncide complètement avec les effets du réchauffement climatique. Les dates de floraison des cerisiers de Kyoto étaient relativement stables jusqu’en 1850 environ, après quoi elles ont avancé peu à peu. Plus précisément, les données révèlent que depuis les années 1830, les sakura ont commencé à fleurir de plus en plus tôt. Entre 1971 et 2000, ces arbres ont fleuri en moyenne une semaine plus tôt que toutes les moyennes précédentes enregistrées à Kyoto.
Il est aujourd’hui avéré que le printemps se fait plus précoce dans l’hémisphère nord, à cause du réchauffement climatique. Certains animaux, comme certaines plantes, modifient ainsi leurs comportements et modes de vie en conséquence ; a priori, les cerisiers japonais n’échappent pas à la règle.
Vers une désynchronisation des interactions entre espèces
Le phénomène ne concerne pas que la ville de Kyoto évidemment. Les fleurs de cerisier sont apparues exceptionnellement tôt dans l’ensemble du Japon. À Tokyo par exemple, le Japan Forward rapporte que les fleurs ont commencé à apparaître le 14 mars (soit 12 jours plus tôt que la « normale » selon les médias) et le pic de floraison est survenu le 22 mars — deuxième date la plus précoce jamais enregistrée ; la dernière fois que le pic a été atteint aussi tôt remonte à 1953. Même les cerisiers de Washington DC fleurissent désormais prématurément : en 2020, les fleurs ont éclos environ deux semaines avant la date moyenne.
Notons que ces données ne concernent qu’une seule famille de cerisiers, mais des enregistrements plus récents concernant 17 taxons de cerisiers ont révélé des taux de changement similaires. Au cours des 25 dernières années, ces autres espèces ont commencé à fleurir 5,5 jours plus tôt en moyenne. Les scientifiques disent que le phénomène est dû principalement à des températures plus chaudes en février et mars. Selon Benjamin Cook, une partie du réchauffement entraînant une floraison de plus en plus précoce est due au changement climatique, mais une autre partie est également due probablement à un effet d’îlot de chaleur accru, inhérent à l’urbanisation de l’environnement qui s’est accélérée au cours des deux derniers siècles.
Les projections, basées sur les données historiques, suggèrent qu’avec un réchauffement de 2,5°C, les fleurs de cerisier auront déjà chuté dans la ville montagneuse de Takayama, à mi-chemin entre Kyoto et Tokyo, au moment où son festival annuel du printemps se déroulera. Le réchauffement menace ainsi une ressource touristique importante du pays ; le Japon devra sans aucun doute tenir compte de ces changements pour adapter son calendrier de festivals printaniers.
Bien sûr, les sakura ne sont pas les seuls végétaux affectés. La floraison hivernale de l’abricot japonais, par exemple, a également montré des changements récents associés au réchauffement climatique. Les plantes et les animaux qui modifient leurs schémas comportementaux en réponse au changement climatique peuvent malheureusement entraîner une désynchronisation des interactions vitales entre les espèces ; les fleurs peuvent par exemple manquer de pollinisation. Ces variations temporelles peuvent également créer des ravages chez les agriculteurs, car elles ne sont pas toujours prévisibles ; une récolte effectuée trois semaines plus tôt une année peut être faite une semaine plus tard l’année suivante…
Mais contrairement aux sakura, la plupart des données sur la flore et la faune ne remontent qu’à quelques décennies. Les cerisiers du Japon sont ainsi considérés comme les « exemples les mieux documentés des effets biologiques du changement climatique dans le monde » et leurs fleurs constituent de magnifiques signaux d’avertissement.