Un cancer est dit hormonodépendant ou hormonosensible lorsque les hormones jouent un rôle dans la prolifération des cellules cancéreuses. Cela concerne la majorité des cancers de la prostate et 60 à 70% des cancers du sein ; une forme de cancer du sein hormonosensible en particulier est très agressive et s’avère la plus meurtrière. Mais des chercheurs australiens ont découvert le gène responsable de ce type de cancer, ce qui pourrait potentiellement permettre d’augmenter le taux de survie des patientes.
Le cancer du sein regroupe en réalité plusieurs formes de cette maladie ; la forme hormonosensible comprend elle-même plusieurs sous-types, qui peuvent répondre aux traitements de diverses manières. Les cancers du sein hormonosensibles se développent en réponse à des hormones telles que les œstrogènes ou la progestérone — l’hormone se fixe aux cellules cancéreuses dotées d’un récepteur spécifique, stimule leur multiplication et favorise le développement d’une tumeur.
Ces cancers sont aujourd’hui traités par hormonothérapie, une approche qui affiche généralement de meilleurs résultats que les traitements de cancers non sensibles aux hormones. Mais un petit pourcentage de patientes souffre toujours d’une forme particulièrement agressive, qui résiste au traitement.
Un gène surexprimé dans la plupart des tumeurs
Cette forme particulière de cancer du sein « entraîne les pires résultats de tous les cancers du sein, la moitié de toutes les femmes mourant de la maladie », précise Pilar Blancafort, responsable de l’épigénétique du cancer à l’Institut Harry Perkins de Perth. La spécialiste explique que ces cancers apparaissent généralement plus gros et ont tendance à se propager plus fréquemment aux ganglions lymphatiques ; ils entraînent ainsi un taux de mortalité plus élevé. Il était donc essentiel de pouvoir les identifier au plus tôt.
En 2012, un groupe de chercheurs a établi une classification du cancer du sein appelée Integrative Clustering (IntClust), qui divise le cancer du sein en dix sous-groupes distincts, chacun présentant des changements génétiques et des résultats cliniques différents. L’une des formes classées dans les cancers à récepteurs d’œstrogènes positifs (ER+), désignée par IntClust2, présente un pronostic particulièrement défavorable (un seul type s’avère encore plus mauvais).
Or, ces chercheurs ont remarqué à l’époque que les tumeurs du type IntClust2 étaient caractérisées par une section d’ADN dans le chromosome 11, amplifiée de manière significative. Cette région du chromosome contient de nombreux gènes potentiellement cancérigènes, appelés oncogènes, bien connus des scientifiques. Mais un gène en particulier, codant pour la protéine AAMDC, a récemment suscité l’intérêt d’une nouvelle équipe de spécialistes, dirigée par Blancafort.
Ils ont entrepris d’examiner 119 échantillons de cancer du sein luminal B — un sous-type qui se caractérise par une expression des récepteurs hormonaux œstrogènes (ER+) et/ou progestérone (PR+), avec une surexpression du gène HER2. En analysant la quantité d’AAMDC exprimée dans ces échantillons, ils ont constaté qu’environ 25% des tumeurs présentaient effectivement une amplification de l’expression d’AAMDC, principalement dans les tumeurs ER+. Puis, lorsque l’équipe a réduit l’expression du gène AAMDC dans les cellules cancéreuses du sein chez la souris, ils ont constaté que leur croissance était inhibée et que davantage d’entre elles subissaient une mort cellulaire programmée.
Un « kit de survie » pour cellules cancéreuses
L’équipe pense ainsi que le traitement actuel du cancer de type ER+ est l’une des raisons pour lesquelles IntClust2 s’avère si agressif. En effet, les traitements hormonaux consistent à priver le cancer des hormones dont il a besoin pour se développer, mais une surexpression du gène codant pour la protéine AAMDC pourrait induire la protection des cellules cancéreuses. « L’AAMDC peut protéger les cellules cancéreuses de la mort et maintenir leur croissance lorsque la tumeur est placée dans des conditions où les nutriments sont rares et lorsqu’elle est privée d’œstrogènes, ce qui tuerait la plupart des cancers sensibles aux hormones », explique Blancafort.
L’AAMDC a une structure et une forme différentes de toute autre protéine découverte jusqu’à présent dans le corps humain ; elle est unique. « La forme ou le repliement de la nouvelle protéine ressemble davantage à une protéine trouvée dans les bactéries, plutôt que dans les cellules humaines », précisent les chercheurs. Or, cette forme unique suggère que cette protéine agit différemment des autres dans les cellules humaines.
La protéine AAMDC est favorable au développement du cancer en agissant en quelque sorte comme un « kit de survie » : en cas de stress métabolique, elle permet aux cellules cancéreuses de continuer à croître et à se multiplier. « Nous avons découvert que la protéine AAMDC peut reprogrammer le métabolisme des cellules cancéreuses du sein et activer les voies de croissance […] lorsque les œstrogènes sont éliminés », confirme l’équipe. En d’autres termes, dans le sous-groupe IntClust2, la suppression des œstrogènes déclenche un signal qui provoque la croissance de la tumeur.
Cette découverte est d’autant plus importante que cette amplification de l’AAMDC s’observe également dans les cancers de l’ovaire, de la prostate et du poumon. Ces résultats pourraient donc être pertinents pour d’autres types de cancer. « Il est important de noter que nous pouvons maintenant détecter ces cancers en recherchant des niveaux élevés d’AAMDC dans les cellules tumorales », souligne Blancafort. En utilisant de nouveaux médicaments visant à bloquer les voies activées par l’AAMDC pour permettre la survie des cellules cancéreuses, il sera peut-être possible de tuer les cellules cancéreuses, mais aussi de restaurer leur sensibilité aux traitements hormonaux habituels.