Le trouble bipolaire, provoquant des sautes d’humeur erratiques et, chez certaines personnes, des effets supplémentaires tels que des problèmes de mémoire, affecte des millions d’individus à travers le monde. Alors que le trouble bipolaire est lié à de nombreux gènes, chacun apportant une petite contribution à la maladie, les scientifiques ne savent pas exactement comment ces gènes provoquent finalement les effets du trouble. Toutefois, dans une étude récente, une équipe de neurobiologistes est parvenue à identifier l’une des voies moléculaires clés à l’origine de certains symptômes du trouble bipolaire.
Dans le cadre de nouvelles études, des chercheurs de l’Université du Wisconsin-Madison ont découvert pour la première fois que les perturbations d’une protéine particulière, appelée Akt, peuvent entraîner des changements cérébraux caractéristiques du trouble bipolaire. Les résultats offrent une base pour la recherche sur le traitement des déficiences cognitives souvent négligées du trouble bipolaire, telles que la perte de mémoire, et ajoutent à une compréhension croissante de la façon dont la biochimie du cerveau affecte l’organisme.
Akt est une kinase, un type de protéine qui ajoute des groupements phosphates à d’autres protéines. Ces marqueurs phosphate peuvent agir comme des interrupteurs marche/arrêt, modifiant le fonctionnement des autres protéines, influençant finalement les fonctions vitales. Dans les neurones, ces fonctions peuvent inclure la façon dont les cellules se signalent les unes aux autres, ce qui peut affecter la pensée et l’humeur. Lorsque la voie Akt est accélérée, de nombreuses autres protéines reçoivent des phosphates. Et lorsqu’elle est amoindrie, peu de groupements phosphates sont ajoutés.
Le rôle de la voie Akt dans le trouble bipolaire
Les chercheurs ont découvert que les hommes atteints de trouble bipolaire ont une activité réduite de cette voie, appelée Akt-mTOR, dans une région cérébrale cruciale pour l’attention et la mémoire. Et lorsque les chercheurs ont perturbé cette voie chez la souris, les rongeurs ont développé des problèmes de mémoire et des connexions cérébrales cruciales ont été neutralisées, simulant des changements chez les humains atteints de trouble bipolaire.
« Cette perte de la fonction de la voie Akt chez les personnes atteintes de trouble bipolaire contribue probablement à des troubles cognitifs. L’idée est que nous puissions peut-être cibler des voies comme celle-ci sur le plan pharmacologique pour aider à soulager les principaux symptômes du trouble bipolaire », explique Michael Cahill, professeur de neurosciences à la faculté de médecine vétérinaire UW-Madison.
Pour évaluer l’activité de la voie Akt, le laboratoire de Cahill a acquis des échantillons de tissus cérébraux de donneurs décédés atteints de schizophrénie, de trouble bipolaire sans psychose et de trouble bipolaire avec psychose, ainsi que de donneurs sains. Les échantillons de tissus provenaient du cortex préfrontal, connu pour contrôler les fonctions de haut niveau, qui est affecté par le trouble bipolaire et la schizophrénie.
En mesurant le nombre et la variété des marqueurs de phosphate sur les protéines contrôlées par Akt dans les échantillons de tissus, les chercheurs ont pu se faire une idée de l’activité globale de la voie Akt-mTOR. Bien qu’ils s’attendaient à l’origine à voir les changements les plus importants chez les patients atteints de schizophrénie — qui montre les liens génétiques les plus forts avec le gène Akt parmi les trois troubles associés —, les chercheurs ont constaté que l’activité de la voie Akt-mTOR était diminuée chez un seul groupe de patients : les hommes atteints de trouble bipolaire sans psychose.
L’impact de l’inhibition Akt sur les neurones
Après avoir constaté cette corrélation entre le trouble bipolaire et une voie Akt plus silencieuse, le groupe de Cahill a ensuite cherché à savoir quel effet cette voie Akt diminuée aurait dans le cerveau. Pour répondre à cette question, ils ont utilisé des virus pour délivrer des protéines Akt non fonctionnelles au cortex préfrontal des souris. Les protéines Akt modifiées remplaçaient celles qui fonctionnaient, gommant la voie Akt.
Dans les tests comportementaux, les souris avec des voies Akt inhibées ont démontré des problèmes de mémoire, n’explorant plus les changements dans des environnements familiers. Mais les souris avec des voies Akt moins actives présentaient toujours des comportements sociaux typiques, suggérant que la voie n’était pas responsable d’autres fonctions cérébrales de haut niveau.
Lorsque les chercheurs ont examiné le cerveau de souris avec des voies Akt réduites, ils ont découvert que les connexions que les neurones utilisent pour interagir avec d’autres neurones, appelées épines dendritiques, s’étaient flétries. Les épines dendritiques sont comme des intersections entre les routes sur lesquelles les informations circulent dans le cerveau.
Des recherches supplémentaires nécessaires
Le fait de perturber la voie Akt chez la souris semblait reproduire des aspects du trouble bipolaire qui se produisent également chez l’humain — problèmes de mémoire, connexions neuronales plus faibles —, ce qui fournit le premier lien clair entre ce gène et les effets du trouble bipolaire. Pourtant, de nombreuses questions demeurent. Les femmes atteintes de trouble bipolaire n’ont pas montré les mêmes changements dans l’activité Akt-mTOR que les hommes.
De même que pour les personnes atteintes de trouble bipolaire avec psychose ou celles atteintes de schizophrénie, malgré des liens génétiques similaires entre la voie Akt et ces troubles. Démêler ces différences et préciser le lien des gènes avec la maladie nécessitera beaucoup plus de recherches. Par exemple, de nombreux autres gènes contribuent au trouble bipolaire, et ces gènes peuvent jouer un rôle plus important dans ces groupes.
À l’avenir, le laboratoire de Cahill prévoit de suivre des circuits individuels dans le cerveau pour découvrir à quel point la voie Akt influence la mémoire. Cette recherche supplémentaire devrait aider à démêler certaines des énigmes persistantes entourant le trouble bipolaire et comment des changements génétiques subtils peuvent entraîner de grandes différences.