Cette jolie résine couleur miel n’est pas uniquement utilisée en joaillerie. Depuis des siècles, on lui prête des vertus médicinales. Aujourd’hui encore, on donne aux nourrissons des colliers d’ambre pour prévenir les douleurs dentaires, et certaines personnes l’utilisent en cas d’infection des voies respiratoires. Croyance populaire ou réalité ? Des scientifiques ont identifié des composés qui pourraient expliquer les effets thérapeutiques de l’ambre baltique. Cette découverte pourrait en outre conduire au développement de nouveaux médicaments permettant de pallier l’antibiorésistance.
La résistance aux antibiotiques, ou antibiorésistance, désigne le fait qu’un traitement antibiotique ne soit plus efficace sur une infection bactérienne. Elle s’est développée progressivement, au fil des années, de par un usage inadapté et excessif des antibiotiques, qui a entraîné une pression de sélection des bactéries pathogènes favorisant l’apparition de souches de plus en plus résistantes. En 2015, on dénombrait en Europe plus de 670 000 infections à bactéries résistantes aux antibiotiques. C’est désormais un enjeu majeur de santé publique.
Selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, aux États-Unis, au moins 2,8 millions de personnes contractent des infections résistantes aux antibiotiques, entraînant 35 000 décès. Lors d’une visite à sa famille en Lituanie, Elizabeth Ambrose, chercheuse en pharmacologie à l’Université du Minnesota, a recueilli des échantillons d’ambre et s’est intéressée de près aux usages médicinaux de cette résine fossilisée.
Des acides résiniques connus pour leur rôle biologique
L’ambre de la Baltique, appelée aussi succinite, résulte de la fossilisation de résine végétale de conifères de l’époque de l’éocène, il y a environ 44 millions d’années. Les gisements d’ambre les plus vastes se trouvent sur les rivages de la mer Baltique ; 90% de la production mondiale provient de la mine d’Iantarny, dans l’exclave russe de Kaliningrad.
La résine s’écoulait des pins maintenant éteints de la famille des Sciadopityaceae et agissait comme une défense contre les micro-organismes tels que les bactéries et les champignons, ainsi que les insectes herbivores, dont beaucoup ont été piégés dans la résine. « Nous savions d’après des recherches antérieures qu’il y avait des substances dans l’ambre de la Baltique qui pourraient conduire à de nouveaux antibiotiques, mais elles n’avaient pas été systématiquement explorées », explique Elizabeth Ambrose.
Son équipe et elle ont donc entrepris d’extraire les différents composés présents dans cette résine du paléogène. Ils ont examiné les échantillons collectés par Ambrose, ainsi que de l’ambre baltique disponible dans le commerce. « L’un des défis majeurs consistait à préparer une poudre fine et homogène à partir des galets d’ambre, pour pouvoir effectuer une extraction par solvant », explique Connor McDermott, qui a participé à l’étude. Ceci fait, la poudre d’ambre a finalement été analysée par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS).
Les spectres GC-MS obtenus ont permis d’identifier des dizaines de composés. Les plus intéressants étaient l’acide abiétique, l’acide déhydroabiétique et l’acide palustrique — des métabolites que l’on trouve dans les résines des végétaux, particulièrement dans la résine de pin. Ce sont des composés organiques à 20 atomes de carbone, à trois cycles, dont l’activité biologique est bien connue : ils agissent comme agents naturels de préservation du bois.
Ces acides sont cependant difficiles à purifier ; les chercheurs ont donc acheté une petite quantité de ces acides sous leur forme pure, puis les ont confiés à un laboratoire d’analyse biologique afin de tester leur activité face à plusieurs espèces bactériennes, dont certaines sont aujourd’hui résistantes aux antibiotiques traditionnels.
Reproduire une substance datant de l’éocène
Ils ont ainsi découvert que les composés extraits de l’ambre présentaient une activité contre les bactéries à Gram positif, telles que certaines souches de Staphylococcus aureus (ou staphylocoque doré), une espèce extrêmement pathogène. En revanche, ils n’avaient aucune action contre les bactéries à Gram négatif.
Or, les bactéries à Gram positif ont une paroi cellulaire moins complexe que les bactéries à Gram négatif : elles ont une structure unimembranée, autrement dit, elles n’ont pas de membrane externe ; ainsi, bien que très épaisse, la couche de peptidoglycane composant la paroi cellulaire est en contact direct avec le milieu extérieur. En quoi cette différence de comportement des acides résiniques face à ces deux types de bactéries est-elle intéressante ? « Cela implique que la composition de la membrane bactérienne est importante pour l’activité des composés », explique McDermott.
Parallèlement, l’équipe a examiné un échantillon de pin parasol japonais, soit l’espèce vivante la plus proche aujourd’hui des arbres qui ont produit la résine à l’époque de l’éocène. Les chercheurs ont extrait la résine des aiguilles et des tiges de cet arbre ; ils ont alors identifié le sclarène, une molécule à 20 atomes de carbone également, qui pourrait théoriquement subir des transformations chimiques afin de synthétiser les composés bioactifs trouvés dans les échantillons d’ambre de la Baltique. Ce qui constitue une nouvelle piste vers la production de masse de nouveaux types de médicaments. « Les acides abiétiques et leurs dérivés sont potentiellement une source inexploitée de nouveaux médicaments, en particulier pour traiter les infections causées par des bactéries à Gram positif, qui sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques connus », se réjouit Ambrose.